Le 15 juillet 1988, c’est la remise des diplômes à la fac
d’Edimbourg. S’ils se sont tournés autour toute l’année, Dexter Mayhew et Emma
Morley ont attendu ce moment pour passer la nuit ensemble. Une nuit à
s’embrasser, se confier, déconner un peu, se découvrir sans totuefois « le »
faire. Dex est un fils de bonne famille, beau gosse, assez branleur et sûr de
lui ; sa culture générale avoisine le néant. Issue d’un milieu modeste, Em
s’auto-déprécie sans cesse malgré son intelligence, son physique charmant et
son humour. Il est aussi frivole qu’elle s’évertue à se partager ses colères
politique. Leur aventure est sans lendemain et ils en sont persuadés.
D’ailleurs, Dex n’a-t-il pas tenté de fuir pendant le sommeil de la jeune
femme, bien qu’il la trouve irrésistible ? Emma ne s’empresse-t-elle pas
de manifester son cynisme malgré son amour pour le jeune homme ? La
fac achevée, Dex s’éclatera dans un long voyage autour du monde, Emma accompagnera
une troupe de théâtre assez minable et politisée avant d’assurer le service dans
un resto mexicain. Mais malgré la distance, ces deux-là ne se quitteront jamais
vraiment. Même quand Dex deviendra un parfait salopard tout en animant, toujours
bourré, des émissions TV sur une chaîne nationale et collectionnant les femmes.
Même lorsqu’Emma, prof au collège, se maquera avec un ancien collègue de resto,
humoriste pathétique et sans charme, et qu’elle se prendra les confidences de Dex
comme autant de gifles humiliantes.
Côté structure, Nicholls a opté pour le gimmick* en ne
posant son regard sur ces « meilleurs amis du monde » que le 15
juillet de certaines années. Pour artificiel qu’il puisse sembler de prime
abord, ce choix jette une lumière crue sur le temps qui passe et fait de chaque
journée contée un événement d’une intensité foudroyante et comme définitive
sous l’apparence de la banalité, du quotidien. La fin du roman lui donnera toute
sa justification.
Côté style, c’est la comédie dramatique qui impose son alternance
de bons mots et d’échanges acerbes, de situations burlesques et de moments
tragiques. Avec un humour qui m’a tiré des éclats de rire en publique et une
émotion qui a anéanti ma bonne humeur. Oh bien sûr, Nicholls n’évite pas un
certain nombre de clichés ; après tout, on navigue en pleine romance. Mais
une romance douce-amère, étirée sur vingt années d’occasions manquées, de
doutes, de malentendus et de retrouvailles plus ou moins réussies. De tendresse
aussi, de descente aux enfers, de petits arrangements pas folichons. Il est
question de passage à l’âge adulte, d’amitié – beaucoup –, de
libre-arbitre, de conditionnement social – un peu –, de rédemption, de
sincérité mais celle que l’on accorde autant à soi-même qu’à autrui. Car
l’existence, on le sait en franchissant la quarantaine, n’a pas la moindre
pitié : compter sur elle pour rattraper nos erreurs est la meilleure des
choses à faire si l’on veut manquer les rares opportunités de la réussir. Et
nos protagonistes l’apprendront à leurs dépens.
Tout ne m’a pas séduit dans ce roman à la fois fin et simple,
et, après m’être enthousiasmé pendant 200 pages, j’ai cru que Nicholls avait
passé la main à un confrère moins doué. Et puis que se trouvent-ils, ces deux
tourtereaux, pour prolonger deux décennies durant le fantasme d’une relation amoureuse
sereine et enthousiasmante, alors que d’évidence, tout les sépare ? Sur cette
motivation originelle, essentielle, Nicholls peine à convaincre, s’appuyant sur
le non-dit de ses innombrables ellipses – 364 par an, en quelque sorte.
Du moins jusqu’à la fin, absolument bouleversante.
Pas étonnant que plus d’un million de Britanniques aient
craqué pour Un Jour…
*Nicholls a tiré ce principe d’un passage du roman de Thomas Hardy, Tess
d’Uberville, lu à l’adolescence. Il en a depuis écrit une adaptation pour la
BBC.