mardi 27 août 2013

Juliet, naked - Nick Hornby - éditions 10:18



De quoi ça parle ?

Description de l’éditeur : Que fait-on lorsqu’on pense avoir gâché quinze ans de sa vie ?
C’est la question gênante que se posent tous les personnages du nouveau roman de Nick Hornby. Il y a Annie et Duncan, la quarantaine sonnante, dont le couple de quinze ans d’âge montre d’inquiétantes fissures. Rien d’étonnant, car à y regarder de près, on ne sait plus très bien pourquoi ils sont ensemble.

Annie travaille au petit musée local de Gooleness, un job peu honorifique qui lui laisse assez de temps pour une visite hebdomadaire à son psy débutant. Mais le temps justement est devenu son pire ennemi.
Ado attardé, Duncan consacre tout le sien à Tucker Crowe, une rock star américaine qui a disparu des radars de la scène depuis près de 20 ans, après un album à succès. Il lui a dédié un site et passe ses journées à échafauder avec une communauté de fans internautes les théories les plus farfelues sur la vie de ce Salinger rock et sa réclusion sonique. Quand Duncan reçoit d’un producteur la démo de son nouvel album acoustique, Juliet Naked…c’est l’instant critique. 


C’est comment ?
Vous descendez ? le précédent Hornby*, était un chef d’œuvre d’humanité et de style, l’improbable collision de quatre destins sauvés in extremis de la chute littérale et figurée par la simple coïncidence de leur rencontre. Juliet, naked, n’atteint guère ce sommet – en béton – même s’il évoque aussi trois vies à l’orée d’un changement.
La mélancolie aussi aigre qu’un fond de bouteille redécouvert deux semaines après l’ultime party, offre là encore l’une des principales saveurs. Oui, ça pique. Mais bien que présent, l’humour y est plus rare, et le fou-rire absent. Si vous pensiez que la trentaine finissante était une période bénie, vous autres pauvres quinqua bobos et désabusés après tant de promesses non tenues, y compris celles que vous vous étiez faites, revoyez votre jugement : la douleur de l’auto-déception n’attend pas. Et Internet n'y changera rien, que vous passiez ou non votre temps à partager votre passion - obsession ? - avec d'autres gentils allumés sur un forum dédié à votre star méconnue et désormais aussi mystérieuse, muette et absente  qu'un Pynchon.
Ou bien Hornby la jouerait-il encore plus subtil ? On le dit, le web ne serait après tout qu'un miroir de notre société, de nos obsessions, de nos comportements. Souvent amplifiés, parfois déformés. Annie trouvera ainsi le chemin d'une certaine rédemption via la fameuse mailing list à laquelle son ennuyeux compagnon est abonné et dont il est l'un des plus fidèles et teigneux animateurs. 
A deux doigts du désespoir et donc d’une lecture déprimante, Hornby décide en effet d’infléchir la courbe. Sa bien connue générosité envers ses personnages est telle, après tout, qu’il ne les laissera pas en plan au fin fond d’une station balnéaire anglaise sans leur donner un coup de pouce. Mais ne vous attendez pas à un improbable happy end : Hornby n’écrit pas pour les petits nenfants à rassurer avant d’éteindre la lumière, pas même lorsqu'il donne dans le roman ado - voir son très réussi Slam.


Tel un pansement stomacal posé avec tendresse pour apaiser l’aigreur d’un fiasco conjugal annoncé, l’auteur résout les crises sans modifier vraiment le régime de base – après tout, qui peut prétendre changer radicalement ses goûts du jour au lendemain ? Et donne une leçon d'écriture à tous ceux qui cherchent à exprimer les doutes, les déconvenues d'une classe un peu trop éprise d'elle-même.

*du moins pour les adultes, Slam, roman jeunesse mettant en garde les ados sur les conséquences des rapports sexuels non protégés, lui étant postérieur en France.

Traduit par Christine Barbaste

mercredi 7 août 2013

Un Long moment de silence - Paul Colize - Prix du Boulevard de l'Imaginaire



De quoi ça parle ?

De nos jours, Stanislas Kervyn, patron d’une florissante boîte de sécurité informatique, présente dans une émission littéraire son ouvrage : une longue enquête sur la mort de son père, aveuglément abattu comme d’autres voyageurs dans l’aéroport du Caire, un jour de 1954. Une mort aussi violente que mystérieuse, le commando d’assassins ayant disparu dans la nature, emportant avec lui le mobile de son action funeste. L’émission à peine achevée, un inconnu contacte l’écrivain : « J’ai du nouveau concernant votre affaire : j’étais le chauffeur du commando ». Une révélation suffisante pour que Kervyn relance son enquête et ne tarde à cumuler les éléments, sans toutefois parvenir à leur trouver une cohérence. Une interprète viendra lui prêter main forte pour traduire les nombreux documents polonais tout juste collectés. En parallèle, le roman narre l’évolution depuis la fin des années 40 d’une organisation secrète, Les Chats, inspirée de l’authentique The Owl, et dont la mission fut – est ? – de traquer les tortionnaires nazis et de les abattre, où qu’ils se trouvent. Nathan Katz s’en affirme peu à peu comme l’un des principaux agents. Ne reste plus qu’à découvrir le lien qui unit ces deux intrigues,distantes de plusieurs décennies.

C’est comment ?
Paul Colize n’est pas un débutant : cet opus est son 9e effort, les sept premiers ayant été publiés dans son pays, en Belgique, sinon à compte d’auteur du moins sous une forme de coopérative peu connue en nos contrées. En France, Alain Fourniaud des éditions de la Manufacture de Livres avait déjà craqué sur Back Up. Bien lui en a pris.
De fait, l’homme maîtrise parfaitement les ficelles du thriller psychologique, cette forme de suspense où le cheminement de la victime importe plus que la procédure policière – de fait, aucune enquête officielle, aucun agent assermenté ne figure dans ces pages, Colize avouant son peu d’intérêt pour la création de ce type de récit.
Si aucune menace précise ne flotte autour du personnage principal, sinon une vague tendance suicidaire, Colize sait entretenir le suspense en tissant parallèlement à cette intrigue contemporaine un récit par moment haletant et qui débute après 1945. Portait terrible d’une guerre secrète, celle menée par une poignée d’hommes et de femmes juifs et la plupart tout juste rescapés de la Shoah, cette histoire porte pendant un long moment l’essentiel de la charge dramatique. Les « Chats », dont Nathan Katz – jeu de mots volontaire ? - devient une figure centrale, mènent leur revanche avec autant de brio que d’ombre, de dilemmes moraux que de détermination. Les procès qu’ils mènent ne sont que guère que des prémices hypocrites à une sentence immuable : la peine de mort exécutable sur le champ.
Quel lien le destin de Katz a-t-il avec celui de Stanislas ? La vengeance systématique des Chats pourrait-elle expliquer le décès du père au Caire ? La lente transformation de ce personnage tout d’abord sympathique, compagnon loyal, homme aimant et père dévoué, en meurtrier glacial fait écho à la métamorphose du narrateur mais en sens inverse.
Car au début du roman Stanislas est une brute, l’un de ces patrons tout puissant ne croyant plus en l’homme et encore moins en ses collaborateurs. Le parfait misanthrope, dont la réussite professionnelle autorise toutes les vacheries, justifie toutes les exigences. Même la brillante et glamour interprète qu’il embauche bientôt pour l’aider dans son enquête fait les frais de sa morgue, de ses coups de gueule, offrant un contrepoint tout en intelligence et non soumission. Quand il n’écrit pas, Paul Colize forme les cadres dirigeants de grands groupes aux lois du management d’entreprise ; de son propre aveu, Stan serait son pire élève, l’exemple à ne pas suivre.
Pourtant, Stanislas cheminera peu à peu vers la lumière, celle de la vérité de son passé et de la découverte de son humanité, tandis que le lecteur comprendra quelle violence intime a déterminé ce caractère de chien.
Tout aussi maîtrisée que sa construction narrative, la plume de Colize définit tant les lieux que les protagonistes avec une belle évidence. Son secret ? Pas plus de trois éléments pour présenter personnages ou décors. Simple non ? Sauf qu’il s’agit de choisir les bons, et Colize est très fort à ce jeu-là. Cette contrainte si créative, il la tiendrait d’un certain auteur français dont le héros est un aristocrate autrichien. Dévoreur de bouquins depuis toujours, l’auteur avoue plus volontiers sa dette à Sébastien Japrisot, dont Un long dimanche de fiançailles a inspiré son Long moment de silence, entre autre pour son titre.
Roman noir aussi émouvant que prenant, Un Long moment de silence a conquis les jurés de ce premier prix du Boulevard de l’Imaginaire au point de faire l’unanimité. Il entretiendrait aussi un lien singulier avec l’auteur, car à la toute fin on… 
Mais chut ! A vous de le découvrir sans tarder.

samedi 3 août 2013

Le Prince de la brume - Carlos Ruiz Zafon




De quoi ça parle ?
1943. Menacée par la guerre, la famille Carver gagne la côte anglaise et emménage dans une belle maison de station balnéaire. De redoutables secrets les attendent. D'un prince, surgi de la brume, la malédiction attend son accomplissement (issu de la description de l'éditeur)

C'est comment ?
Un vilain méchant clown qui fait peur, un trio d’ados avec coup de foudre à l’heure des vacances d’été, une ancienne malédiction, un cirque étrange, des contrats faustiens, une bien inquiétante maison, un chat maléfique… Les clichés abondent si bien que Zafon a beau espérer que ses inventions plairont aux lecteurs de tous âges, comme il l'indique dans son introduction, son Prince des brumes est bien un roman « jeunesse ». Avec toutes ses limites pour le lecteur adulte que je suis. Tant pis pour moi.
Précédant de presque une décennie L'Ombre du vent, ce 1er roman clame déjà  haut et fort le goût marqué de Zafon pour le gothique. Le style en est déjà pompeux, le climat tourne vite à l’orage, la menace se veut surnaturelle et surgi du passé, une partie des protagonistes est irrémédiablement maudite.
Dans le genre et du même auteur, je lui préfère, et de loin, Marina, son 4e.

Traduit de l'espagnol par François Maspero.

mercredi 31 juillet 2013

Betty - Arnaldur Indridason


« Quand j’ai rencontré Betty, j’ai su que ma vie allait basculer », regrette le personnage principal, juriste embauché par le mari de la belle éponyme.
Roman noir assez bref, Betty est écrit à la 1ère personne. Un thriller autour d’une femme fatale, vénéneuse comme il faut – pensez William Irish –  qui n’évite pas les répétitions : le choix de retenir les informations importantes a la fâcheuse conséquence de pousser l’auteur à dire et redire le malaise de son personnage principal, lors de son injuste incarcération. « Je ne sais pas quand tout ça a commencé. » « Cela a peut-être débuté quand… » Et rebelote le chapitre suivant. Bref, les policiers et autres psys chargés de questionner le suspect piétinent, et nous avec, un peu trop longtemps - cet étirement laisse penser qu'il y avait là sans doute plus matière à nouvelle qu’à un roman.
Car Indridason alterne les scènes d’interrogatoire et le proche passé qui a conduit à l’emprisonnement. Une histoire de séduction, puis d’amour qui orbite autour de ce soleil noir qu’est Betty, épouse d’un riche chef d’entreprise avec lequel elle semble entretenir une liaison perverse. Et comme les histoires d’amour finissent mal, en général… Le fric aura son mot à dire aussi, forcément, vous imaginez bien, avec l'une des plus grosses fortunes de l'île...
A mi-chemin du récit, l’auteur révèle un twist qui explique pourquoi je trouvais jusqu'à ce moment certaines phrases étrangement tournées – si je maîtrisais l’islandais, j’irais voir de quoi il retourne dans la VO. Si la surprise est totale, elle n’a toutefois guère d’intérêt pour l’intrigue elle-même et sa résolution, sinon à jouer avec nos a priori, nos préjugés, nous mettre le nez dedans en quelque sorte. Mais la "malhonnêteté" du procédé diminue quelque peu l'effet de cette petite leçon.
Là où l’Islandais excelle en revanche, c’est dans la description psychologique de ses protagonistes, leurs échanges, leurs rapports troubles et inégaux. Une belle concision stylistique au service de portraits emplis d'humanité - et de cruauté.
Au final, une lecture plaisante.



Traduit par Patrick Guelpa

mardi 16 juillet 2013

Monstres academy - Dan Scanlon



Bob Razowski et Jacques Sullivan sont de retour. Si Monstres et Cie narraient leurs aventures alors qu’ils étaient deux adultes à l’indéfectible amitié, ce film évoque leurs débuts, quelques années auparavant.
Comment ces deux-là, employés stars de l’entreprise Monster's inc se sont-ils rencontrés ? Bob était-il déjà une sorte de looser magnifique et à l’imparable logorrhée ? Sullivan se la pétait-il autant et ses performances défrayaient-elles la chronique de ce monde singulier où les petits humains sont à la fois source d’énergie et une menace toxique pour les monstres ? Et surtout, Bob et Sulli étaient-ils les meilleurs potes du monde ? Le film répondra à toutes ces questions, même si on s’en fiche un peu-beaucoup.
Car ce qui entraînait le récit dans le 1er métrage est ici à peu près absent : j’espérais une intrigue parallèle à la scolarité de nos chers monstres. Il n’y en aura pas. Zéro bad guy, point de menace sinon celle de se faire virer de cours - mais on sait déjà que nos deux étudiants seront des employés modèles quelques temps plus tard. 
Le discours sur l’amitié, le droit à la différence, la chance laissée aux outsiders, la nécessité du travail d’équipe, la force de la communauté… ça oui, vous n’y échapperez pas. On le sait, en Amérique, tout est possible et surtout les miracles, pourvu que l’on soit courageux et un peu dégourdi - aucun doute possible, la cité des monstres s’étend bien outre-Atlantique.
Visuellement, Pixar assure comme il se doit. Il faut dire que la boîte développe depuis les années 80 son propre logiciel de rendu photoréaliste et le propose à toute la concurrence : RenderMan. Lumière somptueuse, reflets complexes démentiels, transparences toujours plus maîtrisées : le film de 2001, l'un de mes préférés côté narration, paraît aujourd’hui bien daté. L’animation est bien sûr au top - manquerait plus qu’elle ne le soit pas. Là, c'est le soft maison Presto, mis en place sur le rasoir Rebelle qui est venu à la rescousse de l'équipe. Quant à la direction artistique, eh bien je ne suis pas fan de cette université qui, vue du ciel, ressemble à des pièces montées où circuleraient des théories de M&M's et de Smarties. Bof.
Depuis le formidable Là-Haut, j’attends toujours le Pixar qui m’emportera au-dessus de la masse des dessins animés numériques.
Si toutefois vous y allez, restez jusqu’à la fin. Je veux dire, tapez-vous tout le générique : comme bien souvent, une petite surprise récompensera votre patience. Hier, nous ne fûmes que deux à en profiter.

vendredi 12 juillet 2013

Les Chiens du purgatoire - Jérôme Fansten - sélection du Prix du Boulevard de l'imaginaire




Avec son roman policier Jérôme Fansten joue la carte de l’anti-enquête : il s’agit moins de savoir qui a commis le meurtre originel que d’en sauver le témoin, et donc le suspect, principal. Une tâche qui, le lecteur s’en rendra bien vite compte, s’avérera ardue. Une bonne part de la tension provient plutôt des rapports qu’entretient le héros avec le maître de sa double vie. Car Jopo est un ripoux, un vrai. Et son commanditaire un requin aussi dangereux qu’intouchable.
L’auteur, dont c’est le 2nd roman, prend un malin plaisir à décortiquer les motivations de son flic. Placés tout comme le Cercle dans une météo étouffante, ses protagonistes jouent le jeu délétère d’une certaine catégorie d’opportunistes. Celle de journalistes un peu fâchés avec la décence - l’un des personnages principaux est un chroniqueur judiciaire qui arrondit ses fins de mois grâce à la visite guidée de scènes de crime. Celle encore dont la misère sociale et le désarroi des pouvoirs publics face à la montée de la violence dans les “quartiers” pourrait bien faire la fortune.
Agrémentant son roman de coupures de presse, Fansten développe une thèse inquiétante qui n’engage sans doute que lui mais qui, sous couvert de fiction, a le mérite d’interpeller. Que se passera-t-il le jour où des milices privées - les sociétés de sécurité - remplaceront la police dans les endroits sensibles ? Ce marché juteux annoncé n’est-il pas déjà en train de changer la donne, de bouleverser des équilibres déjà précaires ?
Qu’on ne s’y trompe pas : Les Chiens du purgatoire est moins un réquisitoire à charge sous la forme d’une légère anticipation, que le portrait sensible d’une poignée d’hommes soumis à une pression de moins en moins supportable. Un portrait écrit avec une langue originale, à la fois crue et inventive et où, à de rares exceptions prêts, les coupables sont tous les victimes d’une société devenue folle.

jeudi 4 juillet 2013

Le Cercle - Bernard Minier - sélection du prix du Boulevard de l'imaginaire






Un flic érudit et traumatisé, un tueur hyper dangereux et double démoniaque du héros, un meurtre rituel, un innocent emprisonné, les petits secrets de la bourgeoisie de province, des politiciens pourris, une femme séquestrée, une intrigue au cordeau passée sous le prisme de multiples points de vue… Bernard Minier a réuni avec talent les ingrédients les plus classiques du police procedural contemporain. On ne lui en voudra pas de s’être même autorisé un décalque de Lizbeth Sander, la géniale invention de Stig Larsson, en la personne d’une fliquette lesbienne, motarde et assez douée en informatique pour fouiller le PC de son confrère afin de le protéger.
Minier ajoute à ce parcours balisé une noirceur sans rémission qui en fait tout l’intérêt. Car le monde, Minier le voit en noir. Peu d’espoir dans ses pages, peu de lumière sinon celle de la foudre qui s’abat continûment sur les paysages du sud ouest. Ce n’est pas un contrepoint, c’est une variation sur le thème de la violence, de la colère et d’une impossible innocence.
Le trouble naît peu à peu de cette touffeur aussi psychologique voire morale que météorologique. Et l’enquête, menée en une poignée de jours, rythmée par les fausses pistes, portée par des témoins aux allures de suspects, passionne moins que les trébuchements d’un héros dont on s’attend à tout moment à assister à la fin. Que ce soit d’anciennes amours ou les provocations d’un serial killer en liberté et à l’affection embarrassante, le passé ne cesse de flanquer des coups de pieds au cul du capitaine Servaz.
Pour notre plus grand bonheur.

Paru chez XO éditions

lundi 1 juillet 2013

Point Zéro - Antoine Tracqui - sélection du prix du Boulevard de l'imaginaire

Le premier prix du Boulevard de l'Imaginaire a été remis vendredi 28 juin à Paul Colize pour son excellent roman Un Long moment de silence (La Manufacture de livres). L'occasion de revenir sur la sélection d'ouvrages retenus, à travers quelques chroniques.




Comment résumer l’intrigue foisonnante d’une aventure dont un milliardaire, sa garde rapprochée, une équipe de secours en situation extrême, un vieux général russe, une créature monstrueuse, un jeune et génial autiste composent le casting principal ?
Antoine Traqui commence fort : avec ce 1er roman il entre avec panache dans l’univers du techno-thriller. Et de l’anticipation. Et du roman d’épouvante. Et de la fiction historique - Mussolini en guest-star. Des exemples audiovisuels ? Ce serait X-Files, croisant Les Aventuriers de l’Arche perdue, croisant les Thunderbirds. Une manière aussi de réinventer Jules Vernes - Un Vernes dont les Expandables auraient repris les rôles principaux. Côté roman, pensez aussi Dan Simmons, La Mère des tempêtes (John Barnes) ou Michael Crichton, ou Clive Cussler comme me le proposait un juré du prix du Boulevard de l’Imaginaire.
Erudit sans jamais ennuyer, portant, on l’aura compris, l’action et le fun au 1er plan, le roman fait preuve de bout en bout d’une maîtrise impressionnante malgré un rythme pour le moins frénétique et des pages très denses. Un Space Mountain littéraire, quoi, qui ne s'arrêterait qu'au bout de 800 pages. Revisitant quelques grands mystères du XXe siècle, Point Zéro tisse entre eux des fils improbables mais jouissifs et se permet le luxe de multiplier les twists, les rebondissements. On passe des mines d’Afrique du sud aux forêts de Russie, on file vers une base Antarctique sans négliger une étape gore en Sicile. Bref, une lecture indispensable sur la plage cet été, quelle que soit la météo - l'ombre d'une terrasse fera l'affaire. Ou votre lit. Dans tous les cas, je vous mets au défi de ne pas terminer le livre en un rien de temps.
C’est avec impatience que l’on attend la suite, car les missions internationales des Hard Rescues devraient être relatées dans deux tomes supplémentaires.



mercredi 26 juin 2013

Dernières lectures

Dernières lectures, mais dans le désordre s'il vous plaît :


Pour une fois - David Nicholls
Gastby - nouvelle traduction de Julie Volkenstein.
Le Cercle - Bernard Minier
Les Chiens du purgatoire - Jérôme Fansten
Point Zéro - Antoine Traqui
Un Long moment de silence - Paul Colize
L'Eternel - Joan Sfar
Cyanure - Camilla Läckberg
L'Homme qui voulait être heureux - Laurent Gounelle
Et la Fête continue : intellectuels et artistes sous l'Occupation - Alan Riding
Un Homme presque parfait - Richard Russo



Tomorrow's Harvest - Boards of Canada

The brothers are back.



Mélancolique contemplatif, naïf, lumineux et par instant inquiétant... On pourrait dire la même chose à propos de cet album qu'au sujet des trois précédents. S'ils se répètent les frangins d'Ecosse ? Sans doute. Mais il n'y a qu'eux à produire cette musique qui déplace en moi comme de petites pièces d'étoffes, secouées un instant pour répandre une fine poussière aussitôt captée par la lumière d'un projecteur Super 8, là-haut, dans le grenier d'une enfance intranquille.
Imaginez découvrir une sucette au fond d'une commode, oubliée là il y a vingt ans, toujours piégée sous son papier aux dessins désuets dans cette maison de vacances au bord de la mer. A l'abri dans l'obscurité du tiroir, les couleurs de la confiserie n'ont pas bougé. Pourtant, qui voudrait porter ce sucre à sa sa bouche ? Il reste alors ce désir têtu, confit de nostalgie, étrange d'être à jamais inassouvi.


vendredi 15 février 2013

Experibass and super Stocco



Ce type, jamais pris au dépourvu face à un instrument débordant d'une poubelle, a joué dans la BO de Sherlock Holmes, sous la férule de Zimmer. Formidable !
Pour les geeks : Stocco enregistre ses sons et séquences dans Live ! où ils sont montés et mixés.  A la source ; préaps API 512c , EQ 550b EQs, compressuers 527 et convertisseur  Apogee Ensemble. Les micros : Røde NT5, NT2-A et  K2, et un AKG D40

lundi 4 février 2013

Au vert

Ben oui, le blog se met au vert quelques temps.
C'est pas que je manque d'événements archi déments à raconter, là, tout de suite de maintenant. Mais il faut savoir se faire désirer - un enseignement que je tiens de mon chat. Même si je n'ai pas de chat. Il aurait pu dire un truc pareil, le chat que je n'ai pas.

Sachez tout de même, curieux que vous êtes, que je regarde Homeland mollement - merci la réputation surfaite. 
Que j'ai terminé L'Année de la pensée magique de Joan Didion. 
Qu'Un Homme presque parfait, de Richard Russo, trône toujours à mon chevet et passe même quelques minutes dans mes mains, certains soirs, des minutes de pure gourmandise. Sachez que ce  livre est exceptionnel, ce que n'est pas L'Année de la pensée nombriliste, récit d'un deuil dont les meilleurs moments sont ceux glanés dans les pages d'écrivains plus talentueux. 
Que Le Trône de fer saison 1 m'a bien botté.
Que le mois de janvier fut pour moi un trou noir social même si certains se sont regroupés en très grand nombre pour dire à quel point ils étaient fâchés que tout le monde se mette à partager les mêmes droits dans le pays des Droits-de-l'homme-mais-pas-du-pédé. (Manquerait plus que les femmes aient le droit de vote et ce serait la fin du monde, du moins un truc vachement horrible que nous raconterait, avec des trémolo dans sa voix mouillée, Mr Guaino). 

Sachez aussi que cette année sera différente - et sans pensée magique. 
Mais ne me demandez pas en quoi : déjà, je n'ai tenu aucune des résolutions que je m'étais pourtant bien gardé de ne pas prendre. Le changement dans la continuité. Pensez Hollande après Sarkozy, ce genre de cataclysme, vous voyez - montrez un peu de conviction, bordel. 
Sachez enfin que j'ai une forte envie de... non, pas de ça, enfin si, aussi mais je pensais à autre chose, faites un effort et taisez-vous au fond de la classe. J'en étais où ?Ah. Oui, j'ai envie de... 

Musique. L'alinea c'est pour les roulements de tambour.  

D'en faire, principalement puisque je passe mon temps à en écouter en faisant tout et n'importe quoi et même rien. Je m'attaque au problème dès à présent, ou plutôt dès que mon manuscrit en cours sera envoyé à qui de droit. Et pour ça, il faut que j'en termine les corrections, avant de prendre le chemin de la falaise où m'attend une corde au bout d'un mât, balade que j'entreprendrai des gélules à la main, un air de Chopin en tête. C'est dire si je suis confiant. 

Bref, le programme est chargé. 
Comptez sur moi pour ne pas le tenir. 

mardi 15 janvier 2013

Wanted - Timur Bekmambetov

Photo : dr

De quoi ça parle ?
Un jeune comptable, prisonnier de sa routine dans un open space de New York, apprend soudain être le fils de l'un des tueurs les plus efficaces ayant jamais existé. L'homme, qui n'a jamais élevé son minot, vient d'être assassiné par un sombre ennemi. L'heure est venue pour le jeune Wesley d'intégrer la Confrérie des assassins et retrouver avec leur aide le meurtrier de son daddy inconnu. En somme, affronter son destin. Youhou, ça va saigner.

C'est comment ?
Film d'action plutôt sanglant d'un réalisateur kazakh, maniant l'humour et une violence très graphique, Wanted (2008) est adapté d'un comics. Adaptation plutôt libre : si les prémices sont les mêmes, le film s'éloigne assez vite de l'univers de la bédé. Oubliés les super-héros - enfin, super-villains plutôt -  aux pouvoir surnaturels, exit les univers parallèles, abandonné l'esprit tordu. Ici, l'assassinat est toujours justifié là où la subversion faisait office de wasabi intellectuel. La verve irrévérencieuse du comic écrit par Mark Millar  et dessiné par JL Jones est réduite au vocabulaire grossier, à l'enchaînement de courses poursuites et d'un apprentissage très viril, et à un final en forme de twist sympathique. Pour un peu, il ne reste des deux auteurs que leur nom, placé en clin d'oeil sur l'espace de travail mitoyen du héros, à la fin du métrage. 

James McAvoy est plutôt convaincant, Angelina Jolie fait dans le monolithique, Morgan Freeman en impose toujours mais sans plus et on regrette que Terence Stamp ne joue que les guest-star, le temps de deux scènes trop brèves. 

Récit d'une initiation réglée en six semaines et histoire d'une douloureuse filiation Wanted est un divertissement faussement décalé. Au moins on s'y amuse, pour peu qu'on aime les fusillades à-la-Matrix et les acrobaties automobiles. 

Minceur lowcost

" Jusqu'à 8 kg en moins dans cet email "
Je ne sais pas ce qui me vaut la chance de cette proposition, mais j'avoue ne pas me reconnaître tout à fait dans la blonde "chubby" (avant) qui vient d'apparaître dans ma messagerie et dont la silhouette athlétique (après) est censée me motiver.
Morphorégime low cost et sans effort ? J'ai l'impression qu'on vient de m'offrir une somptueuse fille de l'Est à l'essai - une semaine avant de me coller la facture sous le nez, un flingue pointé sur la rotule droite.

dimanche 13 janvier 2013

Jack Reacher : "Un visiteur pour Ophélie" – Lee Child




De quoi ça parle ?
Jack Reacher a la mauvaise idée de régler leur compte à deux racketteurs venus chercher leur dû dans un nouveau restaurant de Manhattan : le FBI était dans le coin et la violence de ce quidam, en fait un ancien de la police militaire, n’est pas vraiment de leur goût. L'agence met le géant aussi taiseux qu’habile de ses poings, aux arrêts. Et l’accuse d’être un tueur en série : il correspondrait en bien des points au profil d'un l’assassin qui a déjà éliminé deux femmes, anciennes militaires elles aussi. Pour sauver sa peau, notre héros devra mener l’enquête auprès d’une équipe réduite du Bureau et lui faire bénéficier de ses accointances dans l’armée.


C’est comment ?
J’ai commencé la série Reacher au 4e tome, hasard d’une trouvaille chez un bouquiniste. Qui est cet auteur très british qui a fait fortune chez l'Oncle Sam avec des histoires tout ce qu'il y a de plus américaines ? L’histoire est répétée partout : Jim Grant aka Lee Child était un producteur émérite à la tv anglaise lorsque la chaîne a décidé de s’en débarrasser. Pas vraiment du genre à se laisser abattre, Grant, alors âgé de 40 ans, s’est emparé d’un stylo et d’une rame de papier. Son ambition ? Devenir romancier, seul boulot qui lui offrait l'indépendance après une fin de carrière éprouvante, sous le joug de managers incompétents. 
L’inspiration a dû être bonne puisque son 1er essai a rapidement trouvé un agent et l’ouvrage a conquis un large lectorat. Well done, mate. Et bravo pour le pied-de-nez au destin. Reacher lui ressemble-t-il ? Physiquement c’est bien possible. Et l’un comme l’autre ont un paquet de ressources à leur disposition pour contrer le mauvais sort.
Child a très vite choisi d’employer un héros récurrent, ce qui n’était guère la tendance de l’époque, autrement dit la fin des 90’s. Pas plus qu’on avait retrouvé le goût du lone ranger, du justicier sur la route. Qu’importe : Child, qui avait tout sauf envie de faire comme tout le monde, l’a imposé au travers d’intrigues viriles. 
Son vigililente, un genre de mâle que les années soixante dix avaient encensé -  "Dirty Harry" ou Charles Bronson - puis que le politiquement correct des décennies suivantes a effacé, va donc s’engager dans toute sorte d’aventures rugueuses, avec un étonnant sang-froid, une efficacité hors-normes, une intelligence peu commune et un sens avéré de la répartie – eh, c’est un héros, guys. Côté femmes, bah, il n’est pas à plaindre non plus, même si on le voit dans cet opus freiner des deux pieds dès qu’il s'agit de s’engager ou résister à des avances pas franchement désintéressées. En bref : ses exploits martiaux et ses aptitudes McGyver font rêver les lecteurs, sa fausse fragilité et sa courtoisie jamais feinte font craquer les lectrices. Vous savez, le coup de la brute intelligente et taciturne au grand cœur.
Un surhomme, je vous dis. 
L’intrigue ? Menée à x mille à l’heure, elle n’est pas inintéressante, sans être follement originale. Et elle est très bien menée - et encore plus si l'on croit Child qui affirme ne pas écrire d'après un plan détaillé mais plutôt au gré de la plume, sans gros travail de réécriture à la fin.  On n'est pas obligé de le croire non, plus, hein. 
Réaliste, l'intrigue ? N’en demandez pas trop tout de même. Faut dire que Reacher est assez fort pour entraîner les fédéraux sur une fausse piste, juste parce qu’il a besoin de réfléchir un peu à l’enquête principale. Fausse piste qui, loin de mener nulle part, permet à l’armée de mettre un terme à un trafic de flingues. Tant qu’à faire… 
Je n’ai pas lu dans les interviews de Child de références à Elmore Leonard. Je ne peux m’empêcher de rapprocher le genre de mâles que l’un et l’autre mettent en scène : übermensch moins machos que séducteurs, plus féministes que phallocrates. Concision des descriptions et du catalogue psychologique, brièveté des dialogues : voilà qui pourrait encore les unir.
Maintenant, c’est sûr, mieux vaut ne pas les chatouiller, les héros. D’ailleurs Reacher n’a aucun souci avec la violence ni avec les règlements de contentieux hors du, hum, champ légal. L’ironie – et l’intelligence de l’auteur – veut que notre justicier soit maqué avec une avocate. D’accord, le couple risque de ne pas avoir le temps de se compter les cheveux blancs : la donzelle fait passer sa carrière au 1er plan, expatriation en Europe comprise, notre bellâtre préfère la poussière de la route au confort d'une grande villa qui lui était échue au début du roman.
Voilà du thriller dont la documentation n’envahit jamais le récit, dont le rythme soutenu et la langue simple lui vaut d’être le compagnon idéal du voyageur au long-cours.

PS : Jack Reacher vient d'être adapté au cinéma, avec Tom Cruise dans le rôle titre. Difficile de l'imaginer en colosse issu de la police militaire, mais bon. Comment se fait-il que les romans ultra efficaces et cinématographiques de Child aient attendu si longtemps avant de rejoindre le grand écran, quand on sait les producteurs gourmands de plats pré-digérés ? En 2003, six romans étaient pourtant déjà optionnés par New Line.  

vendredi 11 janvier 2013

Scoop - Woody Allen




De quoi ça parle ?
Sur une scène londonienne, le vieil illusionniste Splendini escamote une spectatrice dans une boîte prévue à cet effet. Mais aussi inopiné que motivé, un fantôme apparaît dans ladite boîte pour confier à la jeune femme un lourd secret : le tueur en série dit l’Homme au tarot qui sévit actuellement à Londres, serait en fait un fringant héritier au-dessus de tout soupçon. Splendini et Sondra Pransky, qui se pique d'être journaliste d’investigation, se lancent dans l’enquête.

C'est comment ?
Il y a longtemps que Woody Allen n'est plus que l’ombre de lui-même. Cet opus de 2006 ne déroge pas à cette triste règle qui fait de chaque nouvelle comédie une déception supplémentaire, à la limite de l’embarras. Surtout en ce qui concerne le jeu du comédien et de ses bons mots comme ânonnés à un signal donné hors-champ. Scarlett Johansson, qui rempile avec Allen après Match Point, ne brille guère plus en jeune américaine écervelée, fondue de dentition. Allen aurait écrit le rôle spécifiquement pour elle, après l’avoir vue travailler sur leur précédent film commun : il avait alors décelé son potentiel comique. A-t-il été le seul à le voir ? On peut se poser la question.
Hugh Jackman est quant à lui impeccable mais son personnage de tueur improvisé est écrit avec trop de paresse pour convaincre. L’intrigue elle-même est bâclée ; on objectera que Allen n’emploie le thriller que pour jouer avec ses codes et les tourner  en dérision-mais-pas-tout-à-fait. Mais alors le vieux réalisateur s’y attelle sans passion, évitant soigneusement la tension d’une comédie dramatique, dont son Rêve de Cassandre était un intéressant modèle, pour ne conserver que les relations père-fille, inventés par les protagonistes pour les besoins de leur enquête. Et que dire de la mise en scène ou de la photo ? Pas grand-chose. Le film a coûté 4 millions de $, hors frais de pub et de copies, en a rapporté plus de 50. Rentable, quoi. Pourquoi donc s’emmerder à faire mieux ?
Cette même année, Jackman et Johansson se retrouvaient dans un autre « film de magicien ». Le Prestige. Inutile de vous préciser lequel des deux me laissera un souvenir immarcescible. 

jeudi 3 janvier 2013

La Porte des limbes - nouvelle édition


Illustration d'Aurélien Police

Paru en 1997 en poche chez Mnémos, qui ne publiait d'ailleurs aucun grand format, La Porte des limbes était à la fois un exercice de style, mon 1er bouquin en librairie, une variation autour d'un univers de jeu de rôle dont je n'étais pas le créateur et le début d'une longue aventure professionnelle et amicale avec Stéphane Marsan. 

Rôliste prolixe, Tristan Lhomme avait développé les Selenim, ces vampires d'émotions, créatures à la fois fascinantes et dangereuses et issues d'autres êtres tout aussi magiques, les Nephilim. Il s'agissait de nourrir ces univers, d'aller au-delà des livrets et autres manuels, déjà très complets et publiés par la jeune maison d'édition, de faire vivre en roman ces  inventions au background très riche. 

A l'exception d'une brève incursion du côté de Donjons et dragons et de Cthuluh plus de dix ans auparavant, je n'étais guère rôliste pour ma part. Mais le fantastique était ma patrie de prédilection. A mon tour je m'emparai des Selenims pour raconter une histoire entre gothique et épouvante et la situai dans le Paris de la fin du XIXe siècle. 

Pourquoi cette époque ? Parce que je me passionnais alors pour les peintres symbolistes et toute cette ménagerie d'artistes plus ou moins talentueux, férus de spiritisme en un temps ou les machines étaient en passe de repousser les rêves et leurs mystères toujours plus loin dans l'imaginaire des hommes. La technologie s'imposait. Les guerres qui agitaient le continent étaient une répétition de l'orage de fer qui s'abattrait bientôt sur le monde entier. Mais pour ces femmes et ces hommes, la menace palpitait alors ailleurs, passionnante, parfois macabre, promettant à la fois le pouvoir et la connaissance d'un monde occulte dont ils espéraient devenir les petits maîtres et les porte-étendards. Si la psychiatrie connaissait ses premiers succès, la folie brillait comme un feu où ils venaient réchauffer leur spleen. Tout un peuple d'adolescents attardés, en quelque sorte. 
Une manne pour le rêveur et l'écrivain que j'étais - l'ado sur le retour. 

Son tirage épuisé, La Porte des limbes n'était plus disponible.
L'été dernier Nathalie Weil m'a proposé de rééditer un roman dont j'ai eu l'heureuse et tardive surprise de rencontrer quelques fans - merci Internet et les festivals spécialisés ! Avec l'aide précieuse de Stéphanie Chabert j'ai repris le texte, clarifié quelques points, simplifié quelques pages, développé certaines scènes. L'éditeur a joint un lexique en fin de livre pour expliquer sans détour ce que sont ces Selenims. 
Je suis heureux que ce roman parte de nouveau à la rencontre des lecteurs, d'autant qu'il montre une facette de mes goûts que mes bouquins ultérieurs ont plus ou moins dissimulés, même si je constate aujourd'hui que plusieurs préoccupations se retrouvent d'une histoire à l'autre - la mort et le deuil, les mondes parallèles, les complots. 

Cette année devrait paraître une seconde aventure des mêmes personnages, écrite à l'époque et demeurée  inédite à ce jour. En attendant de la découvrir, je vous propose de franchir sans tarder le seuil de la Porte des limbes...

mercredi 2 janvier 2013

L’homme qui marche – Jirô Taniguchi




Dans cette bédé avare de texte, Taniguchi livre une ode aux bonheurs simples : ceux de la promenade sans but, de l’ébahissement permanent, de l’enthousiasme comme philosophie sociale, des petites libertés prises avec les règlements… 
Son homme qui marche pourrait être n’importe lequel d’entre nous, pourvu qu’il habite en ville et soit doté d’un peu de temps devant lui – chômeur ? Une manière séduisante d’être au monde dont le trait un peu raide de Taniguchi et les décors périurbains peinent parfois à rendre compte. 

Le Journal de mon père - Jirô Taniguchi




De quoi ça parle ?
De retour dans sa ville natale pour les obsèques de son père, Yoichi se remémore son enfance. Dans ce récit intimiste, Taniguchi nous restitue toute la profondeur des sentiments et des émotions d’un homme qui plonge dans ses souvenirs (description de l'éditeur).

C’est comment ?
Né en 1947, l’auteur japonais publie cette fiction en 1995. Le déclic ? Une visite dans sa ville natale de Tottori - elle sert de décor ici. Pour autant, le récit qui alterne les souvenirs et les heures passés à boire du saké lors de la veillée funèbre ne sont pas autobiographiques.  Il s’agit plutôt de « penser aux sentiments que [lui] avait alors inspirés ce retour après des années d’absence et de vie à Tokyo ».

Au-delà d’une part de nostalgie, ce « Journal » décrit tout d’abord le délitement d’un couple, conséquence indirecte du grand incendie qui a frappé cette ville de province en 1952. La maison de famille y sera détruite et le père de Yoichi, patron d'un salon de coiffure et d’origine modeste,  s’abrutira de travail pour rembourser la dette qu’il contracte aussitôt auprès de son beau-père, un nanti. L’éloignement sera bien vite consommé entre le mari, orgueilleux et taiseux, et la femme, fragile et frivole. Au point que cette dernière abandonnera ses deux enfants pour vivre mieux, ailleurs. La blessure de l’abandon ne peut être cicatrisée pour Yoichi. Le responsable de ce désastre affectif ? Son père, bien sûr. N’a-t-il pas concentré toute son énergie dans son boulot, jour après jour, dimanches compris ? Délaissant épouse et enfants au nom d’un code de l’honneur qui confine à l’égoïsme?

Dès qu’il en aura l’occasion, Yoichi quittera Tottori pour ne plus jamais revenir, ou presque. Il deviendra photographe, un métier qui fixe le temps et les souvenirs, ceux-là mêmes que le petit garçon hypersensible réinventera pourtant à son bénéfice, avec cette sorte de mauvaise foi que dicte l’inconscient lorsqu’il s’agit de sauver son âme, voire sa santé mentale – toujours l’abandon de la mère, la retenue du père.
Mais Yoichi n’a-t-il pas accablé son père de tous les maux, pour mieux préserver la mémoire de sa mère et justifier son inexcusable départ ?

Le « Journal de mon père » est tout autant le récit d’une rédemption, en l’occurrence celle du défunt père dans le cœur de son fils blessé. Mieux vaut tard que jamais. Car les témoins de la veillée sont aussi ceux qui, adultes à l’âge où l’orphelin n’était qu’un enfant, détiennent une part de vérité moins partiale, moins cruelle. Ainsi écoute-t-il, ente deux gobelets de saké, les commentaires de son oncle, un bon vivant qui s’est jusqu’au bout évertué de sauver les meubles de cette famille aux abois, médiateur bourru et sincère entre un homme trop pudique – le père – et une femme trop exigeante – la mère. Des commentaires qui, l’alcool aidant et à deux pas du cercueil, prendront la saveur amère de reproches. 


L’histoire d’une enfance douloureuse, où brillent cependant quelques éclats de bonheur, sera ainsi réécrite le temps d’une veillée funèbre. Une vérité moins manichéenne et qui offrira à l’enfant prodigue une réconciliation avec sa propre mémoire et entamera la dissolution de ce lent poison qu’est le ressentiment.


On a découvert Taniguchi en France avec Quartier Lointain, postérieur à cet opus et nouvelle variation, teintée de surnaturel cette fois, de la perte, voire de l’abandon. Je la préfère à ce Journal où la culpabilité filiale, dénoncée véhémentement par l’oncle, m’a semblé injuste. Il y manque aussi une légèreté, une fantaisie que le retour dans le passé bien réel de Quartier Lointain a permise, œuvre majeure que j’aurais sans doute l’occasion de commenter ici-même dans quelques temps. D’ailleurs, Taniguchi doutait de lui à l’époque, comme il s’en ouvre dans la postface : 
« [..] je ne suis pas sûr que le moyen d’expression que j’ai choisi, la BD, soit en mesure de rendre parfaitement le drame intérieur extrêmement abstrait qui fait l’essence de ce récit »