De
quoi ça parle ?
A
peine vient-il de perdre un procès en diffamation contre un homme d’affaires
que Mikael Blomkvist est embauché par un autre industriel. Le job ?
Enquêter sur la mystérieuse disparition de sa nièce, survenue 40 ans
auparavant, sur une île d’où personne n’aurait pu s’échapper ce jour-là :
un terrible accident de la circulation empêchait alors tout franchissement de
l’unique pont. Une énigme en forme de « chambre close » avec en creux
le portrait d’une famille de milliardaires décadents. Mikael étant journaliste
économique, il aura le temps et les ressources de reprendre une enquête
abandonnée par la police, faute d’éléments décisifs. A la clé, un petit pactole
mais pas seulement : le vieil industriel promet à l’enquêteur de lui
fournir assez d’éléments pour plomber l’homme d’affaires qui a valu à Blomkvist
un retentissant échec et quelques mois de tôle.
C'est comment?
C'est comment?
Un
récit lent, très lent, sans nouveau meurtre et à peine rythmé par les quelques
découvertes que Mikael puis son acolyte Lisbeth font à force d’intelligence, de
détermination – et parfois de haine. Les milliardaires ont tous de vilains
secrets à cacher, voilà longtemps qu’on le sait (Gatsby le magnifique) et les
familles fortunées sont bonnes à enfermer (Testament à l’anglaise de Jonathan
Coe). Le style plutôt naturaliste ne s’embarrasse guère d’effets de manche et
n’hésite pas à s’appesantir sur les détails du quotidien. Difficile par
ailleurs de sentir la spécificité nordique d’un semblable récit : ce
pourrait être le Vermont voire le Maine en hiver tout autant que la Suède.
Quant aux meurtriers sexuels, ils ressemblent à s’y méprendre à leurs
homologues US.
Alors
comment expliquer l’invraisemblable succès de ce roman, bien au-delà des
fjords ? Un journaliste pour héros, une famille d’industriels tordus comme
interlocuteurs, des tueurs en série tendance sexuelle… autant dire qu’on
navigue en mer connue, balisée, surexploitée. Mais comme le disait
Malraux : au-delà de 10 000 exemplaires, c’est un malentendu. Une
piste : peut-être faut-il chercher du côté des personnages. Loin de
tout moralisme anglo-saxon, Blomkvist s’avère un personnage à la sexualité
sinon débridée du moins libérée, en dehors de la norme. Sa vie affective et surtout le
regard qu’il porte sur celle de son entourage donne un ton d’une certaine
fraîcheur au récit, une forme de tolérance et d’ouverture d’esprit parfois
surprenante, tranchant avec le clicheton du justicier un peu dark et
en quête de rédemption, retour au bercail conjugale inclus. La grande réussite
vient surtout de Lisbeth Salander, protagoniste aussi attachant qu’inquiétant,
héroïne autiste – syndrome d’Asperger – qui, certes, permet à l’auteur quelques
facilités d’intrigue mais ajoute une tension émotionnelle et affective certaine
à un roman parfois à deux pas d’une autosatisfaction un peu froide.Je
vais être franc, voilà un premier roman d’une grande maîtrise et qui, malgré la
lenteur de son récit, donne envie de retrouver ses personnages au plus vite. Il
me tarde de lire quels progrès feu Stieg Larsson a fait dans les second et
troisième volumes d’une série désormais incontournable et pierre angulaire du
« polar nordique » moderne – un genre dont je n’ai pas encore saisi quelles
spécificités pourraient en expliquer la vogue récente par chez nous.