De quoi ça parle ?
De nos jours, Stanislas
Kervyn, patron d’une florissante boîte de sécurité informatique, présente dans
une émission littéraire son ouvrage : une longue enquête sur la mort de
son père, aveuglément abattu comme d’autres voyageurs dans l’aéroport du Caire,
un jour de 1954. Une mort aussi violente que mystérieuse, le commando d’assassins
ayant disparu dans la nature, emportant avec lui le mobile de son action
funeste. L’émission à peine achevée, un inconnu contacte l’écrivain : « J’ai
du nouveau concernant votre affaire : j’étais le chauffeur du commando ».
Une révélation suffisante pour que Kervyn relance son enquête et ne tarde à
cumuler les éléments, sans toutefois parvenir à leur trouver une cohérence. Une
interprète viendra lui prêter main forte pour traduire les nombreux documents
polonais tout juste collectés. En parallèle, le roman narre l’évolution depuis
la fin des années 40 d’une organisation secrète, Les Chats, inspirée de l’authentique
The Owl, et dont la mission fut – est ? – de traquer les tortionnaires nazis
et de les abattre, où qu’ils se trouvent. Nathan Katz s’en affirme peu à peu comme
l’un des principaux agents. Ne reste plus qu’à découvrir le lien qui unit ces
deux intrigues,distantes de plusieurs décennies.
C’est comment ?
Paul Colize n’est pas un
débutant : cet opus est son 9e effort, les sept premiers ayant
été publiés dans son pays, en Belgique, sinon à compte d’auteur du moins sous
une forme de coopérative peu connue en nos contrées. En France, Alain Fourniaud
des éditions de la Manufacture de Livres avait déjà craqué sur Back Up. Bien
lui en a pris.
De fait, l’homme maîtrise
parfaitement les ficelles du thriller psychologique, cette forme de suspense où
le cheminement de la victime importe plus que la procédure policière – de fait,
aucune enquête officielle, aucun agent assermenté ne figure dans ces pages,
Colize avouant son peu d’intérêt pour la création de ce type de récit.
Si aucune menace précise ne
flotte autour du personnage principal, sinon une vague tendance suicidaire,
Colize sait entretenir le suspense en tissant parallèlement à cette intrigue
contemporaine un récit par moment haletant et qui débute après 1945. Portait
terrible d’une guerre secrète, celle menée par une poignée d’hommes et de
femmes juifs et la plupart tout juste rescapés de la Shoah, cette histoire
porte pendant un long moment l’essentiel de la charge dramatique. Les « Chats »,
dont Nathan Katz – jeu de mots volontaire ? - devient une figure centrale,
mènent leur revanche avec autant de brio que d’ombre, de dilemmes moraux que de
détermination. Les procès qu’ils mènent ne sont que guère que des prémices
hypocrites à une sentence immuable : la peine de mort exécutable sur le
champ.
Quel lien le destin de Katz a-t-il
avec celui de Stanislas ? La vengeance systématique des Chats pourrait-elle
expliquer le décès du père au Caire ? La lente transformation de ce
personnage tout d’abord sympathique, compagnon loyal, homme aimant et père
dévoué, en meurtrier glacial fait écho à la métamorphose du narrateur mais en sens
inverse.
Car au début du roman Stanislas
est une brute, l’un de ces patrons tout puissant ne croyant plus en l’homme et
encore moins en ses collaborateurs. Le parfait misanthrope, dont la réussite
professionnelle autorise toutes les vacheries, justifie toutes les exigences.
Même la brillante et glamour interprète qu’il embauche bientôt pour l’aider dans
son enquête fait les frais de sa morgue, de ses coups de gueule, offrant un
contrepoint tout en intelligence et non soumission. Quand il n’écrit pas, Paul
Colize forme les cadres dirigeants de grands groupes aux lois du management d’entreprise ;
de son propre aveu, Stan serait son pire élève, l’exemple à ne pas suivre.
Pourtant, Stanislas cheminera
peu à peu vers la lumière, celle de la vérité de son passé et de la découverte
de son humanité, tandis que le lecteur comprendra quelle violence intime a déterminé
ce caractère de chien.
Tout aussi maîtrisée que sa
construction narrative, la plume de Colize définit tant les lieux que les
protagonistes avec une belle évidence. Son secret ? Pas plus de trois
éléments pour présenter personnages ou décors. Simple non ? Sauf qu’il s’agit
de choisir les bons, et Colize est très fort à ce jeu-là. Cette contrainte si
créative, il la tiendrait d’un certain auteur français dont le
héros est un aristocrate autrichien. Dévoreur de bouquins depuis toujours, l’auteur
avoue plus volontiers sa dette à Sébastien Japrisot, dont Un long dimanche de fiançailles
a inspiré son Long moment de silence, entre autre pour son titre.
Roman noir aussi émouvant que
prenant, Un Long moment de silence a conquis les jurés de ce premier prix du
Boulevard de l’Imaginaire au point de faire l’unanimité. Il entretiendrait
aussi un lien singulier avec l’auteur, car à la toute fin on…
Mais chut !
A vous de le découvrir sans tarder.
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