mercredi 7 août 2013

Un Long moment de silence - Paul Colize - Prix du Boulevard de l'Imaginaire



De quoi ça parle ?

De nos jours, Stanislas Kervyn, patron d’une florissante boîte de sécurité informatique, présente dans une émission littéraire son ouvrage : une longue enquête sur la mort de son père, aveuglément abattu comme d’autres voyageurs dans l’aéroport du Caire, un jour de 1954. Une mort aussi violente que mystérieuse, le commando d’assassins ayant disparu dans la nature, emportant avec lui le mobile de son action funeste. L’émission à peine achevée, un inconnu contacte l’écrivain : « J’ai du nouveau concernant votre affaire : j’étais le chauffeur du commando ». Une révélation suffisante pour que Kervyn relance son enquête et ne tarde à cumuler les éléments, sans toutefois parvenir à leur trouver une cohérence. Une interprète viendra lui prêter main forte pour traduire les nombreux documents polonais tout juste collectés. En parallèle, le roman narre l’évolution depuis la fin des années 40 d’une organisation secrète, Les Chats, inspirée de l’authentique The Owl, et dont la mission fut – est ? – de traquer les tortionnaires nazis et de les abattre, où qu’ils se trouvent. Nathan Katz s’en affirme peu à peu comme l’un des principaux agents. Ne reste plus qu’à découvrir le lien qui unit ces deux intrigues,distantes de plusieurs décennies.

C’est comment ?
Paul Colize n’est pas un débutant : cet opus est son 9e effort, les sept premiers ayant été publiés dans son pays, en Belgique, sinon à compte d’auteur du moins sous une forme de coopérative peu connue en nos contrées. En France, Alain Fourniaud des éditions de la Manufacture de Livres avait déjà craqué sur Back Up. Bien lui en a pris.
De fait, l’homme maîtrise parfaitement les ficelles du thriller psychologique, cette forme de suspense où le cheminement de la victime importe plus que la procédure policière – de fait, aucune enquête officielle, aucun agent assermenté ne figure dans ces pages, Colize avouant son peu d’intérêt pour la création de ce type de récit.
Si aucune menace précise ne flotte autour du personnage principal, sinon une vague tendance suicidaire, Colize sait entretenir le suspense en tissant parallèlement à cette intrigue contemporaine un récit par moment haletant et qui débute après 1945. Portait terrible d’une guerre secrète, celle menée par une poignée d’hommes et de femmes juifs et la plupart tout juste rescapés de la Shoah, cette histoire porte pendant un long moment l’essentiel de la charge dramatique. Les « Chats », dont Nathan Katz – jeu de mots volontaire ? - devient une figure centrale, mènent leur revanche avec autant de brio que d’ombre, de dilemmes moraux que de détermination. Les procès qu’ils mènent ne sont que guère que des prémices hypocrites à une sentence immuable : la peine de mort exécutable sur le champ.
Quel lien le destin de Katz a-t-il avec celui de Stanislas ? La vengeance systématique des Chats pourrait-elle expliquer le décès du père au Caire ? La lente transformation de ce personnage tout d’abord sympathique, compagnon loyal, homme aimant et père dévoué, en meurtrier glacial fait écho à la métamorphose du narrateur mais en sens inverse.
Car au début du roman Stanislas est une brute, l’un de ces patrons tout puissant ne croyant plus en l’homme et encore moins en ses collaborateurs. Le parfait misanthrope, dont la réussite professionnelle autorise toutes les vacheries, justifie toutes les exigences. Même la brillante et glamour interprète qu’il embauche bientôt pour l’aider dans son enquête fait les frais de sa morgue, de ses coups de gueule, offrant un contrepoint tout en intelligence et non soumission. Quand il n’écrit pas, Paul Colize forme les cadres dirigeants de grands groupes aux lois du management d’entreprise ; de son propre aveu, Stan serait son pire élève, l’exemple à ne pas suivre.
Pourtant, Stanislas cheminera peu à peu vers la lumière, celle de la vérité de son passé et de la découverte de son humanité, tandis que le lecteur comprendra quelle violence intime a déterminé ce caractère de chien.
Tout aussi maîtrisée que sa construction narrative, la plume de Colize définit tant les lieux que les protagonistes avec une belle évidence. Son secret ? Pas plus de trois éléments pour présenter personnages ou décors. Simple non ? Sauf qu’il s’agit de choisir les bons, et Colize est très fort à ce jeu-là. Cette contrainte si créative, il la tiendrait d’un certain auteur français dont le héros est un aristocrate autrichien. Dévoreur de bouquins depuis toujours, l’auteur avoue plus volontiers sa dette à Sébastien Japrisot, dont Un long dimanche de fiançailles a inspiré son Long moment de silence, entre autre pour son titre.
Roman noir aussi émouvant que prenant, Un Long moment de silence a conquis les jurés de ce premier prix du Boulevard de l’Imaginaire au point de faire l’unanimité. Il entretiendrait aussi un lien singulier avec l’auteur, car à la toute fin on… 
Mais chut ! A vous de le découvrir sans tarder.

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