Vous avez peut-être manqué la série Borgen, sur Arte. Vous le
regrettez déjà et je vous comprends. Petit rappel.
Un épisode de Borgen c’est :
- Une femme 1er ministre aux prises avec sa houleuse coalition : quel piège lui ont tendu ses partenaires ? Quel scandale
tentent d’exploiter ses adversaires ?
- Une femme surchargée de travail au point de mettre son
couple en péril. Jusqu’où aller pour sauver son gouvernement, répondre aux sollicitations
de son équipe sans pour autant épuiser la patience d’un époux qui a mis sa
propre carrière entre parenthèses ?
- Une journaliste éprise du spin doctor* de la susdite 1er
ministre. Comment faire son boulot en échappant aux menaces, aux manipulations ?
Quelle place accorder à la vie sentimentale ? Jusqu’où aller dans sa quête
de vérité ?
- Un spin doctor cynique et plein d’ambition :
comment déjouer les pièges qui entravent la bonne marche du gouvernement ?
Comment reconquérir le cœur de la susnommée journaliste ? Jusqu’où conduire la manipulation d’autrui
sans se perdre ?
Ces trames se chevauchent, se répondent et sont reprises à
chaque épisode. Au point de donner à la gouvernance du Danemark l’allure d’un
match permanent où il s’agirait moins de préparer le pays au monde qui s’annonce
qu’à occuper le terrain au prix de tous les sacrifices, de toutes les traîtrises,
de tous les compromis.
Malgré les idéaux – en dépit ou à cause d’eux : pas
plus les intéressés que les électeurs ne sauraient trancher – l’exercice
du pouvoir transforme. Rien de nouveau dans ce constat et Borgen ne propose pas
grand-chose de plus. Simplement, il y parvient avec conviction, une certaine
humanité, une psychologie simple mais pas simpliste, à peu près débarrassée du
manichéisme cher aux scénarios anglo-saxons. Parvenue au sommet de l’état par
la grâce de coïncidences tombées à point nommé, l’héroïne gagne peu à peu en
maturité politique ce qu’elle perd en humanisme. La sombre étoffe du tailleur
avec lequel elle achève la 1ere année de son mandat, et par la même
occasion la 1ère saison, souligne cette évolution, ce cheminement
vers la solitude brûlante du pouvoir. Une progression portée par une actrice
exceptionnelle, capable de nourrir son personnage des plus subtiles nuances de
l’enthousiasme, de l’inquiétude, de l’hypocrisie, de la lassitude, de l’amour
aussi et, indispensable en l’occurrence, de l’autorité. Pour profiter
pleinement de son jeu réaliste, il faudra choisir la version originale
sous-titrée – un effort qui en vaut grandement la peine.
Borgen m’aura appris deux choses fondamentales : une
coalition centriste c’est le bordel, et viser l’excellence professionnelle sans
l’aide d’une babysitter, c’est la mort du foyer. Une double leçon à méditer à l’approche
des élections, non ?
* Chargé de la communication du 1er ministre. Son importance dans le script tend à démontrer que l'éminence grise n°1 cherche moins à mesurer les conséquences sur l'avenir du pays de telle décision politique, tel acte privé, telle infortune publique qu'à en connaître et en maîtriser les retombées médiatiques. Comme si le modèle Attali-Kissinger était obsolète.