Kafka Tamura a 15 ans et il est en fugue. Bien sûr, il ne
porte pas ce prénom, mais il lit beaucoup et a l’âme romantique et un peu
rebelle, aussi a-t-il décidé de se réinventer. Ce serait par chez nous un emo, du moins s’il n’avait les goûts musicaux de son auteur – le
Prince de 1984 et autres vieilleries mainstream*. Voilà notre garçon corbeau (kafka en tchèque, du moins selon Murakami) partant à l’aventure, sans savoir où il atterrira. Il
n’en veut pas au monde entier, juste à sa mère qui l’a abandonné avec sa fille sous
le bras alors qu’il n’avait que 3 ans, et à son père qui lui a balancé cette
prédiction : tu tueras ton père, baiseras ta mère et coucheras avec ta sœur. De
quoi être énervé, on en conviendra.
Sa fuite le conduit très vite dans une bibliothèque du
Shikoku. Une fondation privée tenue par une femme bien mystérieuse – mais que
fait-elle de ses journées ? assistée d’un jeune homme qui n’est en fait
que… Mais taisons-nous pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur avide de
rebondissements. Autant dire que Tamura ne va pas tarder à s’éprendre de la
quinqua, cherchant à percer l’énigme de cette femme qui n’en fiche pas lourd et
que son assistant sera plus qu’un simple confident.
Pendant ce temps, un vieillard un peu simplet, doué de
communication avec les chats, se trouve lui aussi au carrefour de son
existence. Après avoir commis un peu malgré lui un meurtre, il file plein sud,
direction… le Shikoku, mais oui. Ce qui ne l’empêchera pas de faire pleuvoir
des sardines en route et de régler le compte d’un gang de motards vindicatifs.
La police se mêlera aux agissements de ces deux-là, mais
de loin – on n’est pas dans un polar.
Une précision s’impose : les premiers chapitres
distillent un rapport de l’armée US, celle qui occupait le Japon au sortir de
la guerre. En effet, une après-midi de 1942, une institutrice en excursion avec
sa classe est le témoin d’un phénomène inquiétant : alors qu’ils viennent
d’atteindre une clairière au sommet d’une haute colline et que survole un B29,
les élèves s’évanouissent les uns après les autres. Ils se réveilleront sans
souvenir de l’événement, sans séquelle non plus et sans plus
d’explications – il n’y aura d’ailleurs
jamais, ce n’est pas ce qui intéresse Murakami. Ils se réveilleront tous… sauf
un. Celui-là passera quelques semaines dans le coma avant de surgir de
l’inconscient sans aucune mémoire. Naguère élève aussi brillant que discret, l'amnésique est désormais un peu simple d’esprit. Vous avez deviné de qui il s’agit.
Difficile d’en dire plus. Déjà parce qu’on risquerait de
déflorer l’intrigue, aussi ténue soit-elle. Ensuite parce que son récit devient
trop fantasque pour se résumer en quelques lignes.
Une fois encore, Murakami fait parler la solitude parfois
extrême des êtres, les liens impossibles qu’ils tissent entre eux bon gré mal
gré, parfois à grande distance. Le tout dans un monde de références culturelles populaires mondiales,
d’onirisme plus ou moins symbolique, de digressions littéraires pataudes et de
romance tragique.
Murakami, c’est l’Asie des clichetons : harmonie
avec une nature grandiose et vivante,
philosophie permanente et à deux sous, poids d’une société qui s’efforce de
gommer l’individu, métaphores à base de lune et d’eau trouble, surnaturel
poétique . Mais c’est aussi plus que cela,
heureusement pour nous pauvre lecteur égaré parmi plus de 600 pages.
S’ils abondent, la plupart des phénomènes surnaturels ne
seront jamais explicités. Parfois c’est tant mieux, souvent c’est too much. Les fans diront que ça
constitue une voix et contribue à l’immersion dans cet univers littéraire
singulier, moderne – familier, simple – par sa langue et ses références, lent voire tortueux
dans son récit. Qu’on ne s’y trompe pas, au-delà de sa singularité, Murakami parle
avant tout d’amours difficiles et romantiques, du droit à la différence dans
une société qui nivelle, du prix de la solitude, le tout avec un fort goût de destin. Autant de thèmes éminemment
populaires – Murakami est un immense best-seller – que l’auteur a déjà maintes fois exploités. Il a pourtant été plus léger : Les
Amants du Spoutnik, La Ballade de l’impossible, Au Sud de la frontière, à l’ouest
du soleil, ne m’avaient pas laissé une semblable impression. Toutefois,
Murakami excelle à installer ses situations, à mêler le trivial et le
fantastique (d’une manière très différente d’un Stephen King), à dépeindre ses
mystères ; les pages du rapport militaire sont une réussite, une promesse
aussi qui ne sera d’ailleurs pas tenue. Sans être constants – leurs
niveaux de langage flottent un peu trop d’une page à l’autre – ses
personnages sont souvent touchants, à l’exception du trop mièvre Kafka dont les
péripéties nous sont rapportées au présent et à la première personne.
Voilà un roman que j’aurais bien aminci de moitié, tant
les situations se répètent, l'histoire patine.
Quand je vois les points communs entre 1Q84 et
Kafka sur le rivage, je ne suis pas certain d’aller vers les trois tomes du
premier.
*De son propre aveu, il y a beaucoup de Murakami dans ce personnage.
*De son propre aveu, il y a beaucoup de Murakami dans ce personnage.
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