Attention, spoilers, un peu.
Sidney
Prosser (Amy Adams) et Irving Rosenfeld (Christian Bale) se sont
rencontrés lors d'une party et ont découvert leur passion commune
pour Duke Ellington. En pleine vague disco, ce raffinement n'annonce
rien de leur passé ni de leurs facultés. Car l'un et l'autre sont
des survivants. En plus de détenir une chaîne de pressing, Irving
deale de faux tableaux de maître et prête l'argent qu'il n'a pas à
des emprunteurs aux abois.
C'est un
arnaqueur.
Sidney qui a
cherché à New York un antidote à son destin malade rejoint l'homme
et sera désormais une pièce maîtresse de ses mises en scène :
aussi glamour que Rosenfeld est banal, il lui suffira de se
transformer en aristocrate britannique pour convaincre les éventuels
gogos indécis de plonger.
Les affaires
du duo tournent à plein régime jusqu'au jour où un agent du FBI,
Richie DiMaso (Brad Cooper), les piège. Fin de partie et début des emmerdes. Le flic leur
propose un marché : l'immunité contre quatre flagrants
délits de corruption qu'ils auront contribué à révéler. Car le
jeune officier est ambitieux et prêt à pousser n'importe quel élu
à la faute. Leur arrestation seront les marches de sa promotion.
Faut-il fuir
ou accepter le deal ? Au grand dam d'Adams, l'existence d'un fils
adoptif et d'une épouse capricieuse et imprévisible dans la vie de Bale élimine
bien vite tout velléité de fuite. Il faudra donc collaborer.
Première
cible, Carmine Polito (Jeremy Renner) le jeune maire d'une cité du
New Jersey aux portes de NY, aimé de tous. Mais ce père de famille
qui ne songe qu'à reconstruire la ville-casino Atlantic City refuse
la mallette bourrée de billets qu'on lui propose. Il a beau côtoyer la Mafia, il ne
mange pas de pain-là – pas encore. Dommage, car des caméras
cachées montées par le FBI dans la suite d'un palace s'apprêtait à
enregistrer le forfait. En cause, la maladresse du flic – il a
investi pour l'occasion une nouvelle identité : il est l'intermédiaire d'un cheik que
les investissements sur le territoire américain intéresseraient.
Il faudra
toute la ruse et le bagou d'Irving pour convaincre l'élu d'accepter in fine la proposition malhonnête.
C'est ici que
débute l'histoire de ce trio rassemblé sous la double contrainte de
la survie et de l'ambition. Une histoire qui tient de la fable morale
et de la romance.
Le scénario
est inspiré de faits réels, comme l'annonce brièvement un carton
au début du métrage. Il s'agit en fait de l'Abscam, un plan monté
par le FBI pour coincer des représentants du Congrès. Leur pièce
maîtresse était justement cet arnaqueur confondu et dont
l'acquittement était conditionné à l'aide qu'il apporterait au
Bureau pour confondre des politiciens. Eric Warren Singer en avait
écrit une 1ère mouture. Une fois attaché au projet, David O.
Russell s'est ingénié à lui conférer les atours de la comédie
dramatique, où les personnages évoluent sans cesse entre la
caricature et la profondeur.
Il s'est
entouré d'un casting de 1er ordre, un quatuor nominé aux Oscars, la
2e fois qu'un tel événement se produit depuis 1981 – la 1ère
était avec le métrage précédent de Russell. On a beaucoup parlé
des kilos pris par Christian Bale pour incarner Irving Rosenfeld, un
transformisme dont il est désormais familier – on se souvient de
sa silhouette famélique dans The Mechanist. Quant à Brad Cooper,
les journalistes n'ont eu de cesse de le questionner sur ses
bouclettes, comme si elles tenaient lieu de génie de l'acting.
Mais
si l'un et l'autre sont parfaits dans leur rôle, ce sont les femmes
qui l'emportent ici haut la main.
A l'instar de
Cooper, Jennifer Lawrence jouait déjà dans le précédent métrage
de Russell, Happiness therapy. Elle y interprétait le rôle
principal auprès de Cooper. Cette fois, elle est une jeune mère
instable, dépressive et manipulatrice. Son mariage, fondé sur la
volonté de Bale de protéger à tout prix son fils adoptif, est un
échec. Bale attendait autre chose de cette relation ? Lawrence
hausse les épaules et la résume à ces quelques mots : « on
s'engueule puis on baise, c'est comme ça qu'on a toujours
fonctionné ». Mais surtout, Lawrence est aussi folle
qu'inconséquente et colérique. Mettre le feu à sa maison n'est pas
un souci. Très vite elle incarne à elle seule l'inquiétude
croissante qui entoure les opérations du trio : parce qu'elle a
volé une conversation téléphonique entre Bale et Cooper,
Lawrence menace constamment son époux de mettre à bas sa couverture
auprès de la Mafia. L''Honorable Société est en effet très vite
intéressée par les investissements du « cheik » :
Atlantic city et les casinos, c'est son terrain de jeux bien sûr. La
détestation de Lawrence pour Adams, qu'elle comprend être la
maîtresse de son mari, envenime les relations avec un homme dont
elle ne veut pas se séparer, malgré tout ce qui les éloigne.
Bien qu'un
peu jeune pour le rôle, l'actrice convainc en bombe – sexuelle –
à retardement.
Et puis il y
a Amy Adams. Je l'avais déjà remarquée dans The Master : elle
y jouait l'épouse dévouée et plutôt discrète du gourou. Ce qui
n'empêchait pas son personnage très bcbg d'éclairs d'affirmation,
d'autorité et de manipulation dans ses trop rares interventions à
l'écran. En quelque sorte la femme de l'ombre sans laquelle la
réussite de son mari serait un rêve un peu vain.
Ici elle
interprète de nouveau la complice indispensable, celle qui permet
aux arnaques, mais aussi à la vie affective de Bale de franchir un
cap décisif. À moins que cela ne soit l'inverse. Car qui mène la
danse ? Difficile à dire jusqu'au moment où le système
bascule et entraîne le couple entre les mains du FBI et le rapproche
dangereusement de la Mafia. C'est alors Sydney qui prend les choses
en main. Qu'elle soit glamour en diable ou proie effrayée, voire les
deux en même temps, elle secoue le spectateur, sans que ce dernier,
manipulé tout autant que les hommes à l'écran, sache jamais quel
jeu joue la jeune femme.
Est-elle
amoureuse du federal ? Préfère-t-elle toujours son
arnaqueur ? Ne songe-t-elle plutôt qu'à songer sa peau aux
dépends de tous ?
La scène
qui annonce la rédition des arnaqueurs à l'agence gouvernementale
est animée par le calme noir, déterminé dans son effroi, d'Adams.
Sans maquillage, illuminée d'un bleu sans concession, épuisée par
trois jours de garde à vue elle bouleverse lorsqu'elle annonce que
désormais, elle ira jusqu'au bout. Au bout de l'opération imposée
par l'agent du FBIl, au bout de leur système d'arnaque, au
bout de tout, même si cela signifie séduire le flic qui les a
piégés. Une décision en mémoire de son amour perdu – elle
n'aura de cesse de reprocher à Bale son mariage.
Le film peut
alors glisser dans le drame.
L'east coast
en 78, les petites arnaques, la bande son semée de pistes 70's, le
ton proche de la comédie : le projet aurait fait le bonheur du
Soderberg de The Limey, Loin des Yeux, voire Ocean's Eleven. On
imagine aussi quel film Scorcese aurait composé sur cette trame :
les mouvements d'appareil virtuoses, la violence froide et outrée,
les effets de montage ; ou même Tarentino – Jackie Brown
n'est pas très loin après tout de ce schéma d'arnaque menée par
une femme aux abois sous les auspices du FBI.
Russell
fourbit même un DeNiro en tueur à gage, dont l'apparition suffit à
convaincre le spectateur de l'extrême péril dans lequel s'est
fourré le couple (ce n'est pas DeNiro que l'on voit, ni même son
personnage mais des décennies de filmographie, en un sous-texte
aussi tacite qu'éloquent).
Mais ces
réalisateurs seraient-ils parvenus à ce niveau d'intensité avec
les personnages, à ce degré d'empathie ? Auraient-ils maîtrisé
cet aller-retour incessant entre drame et comédie ? La
réalisation de Russell, sans esbroufe, soutenue par une photographie
dont le grain et la palette rappellent les émulsions 70's, est très
souvent au plus près des visages et contribue à faire d'American
Bluff une totale réussite.
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