vendredi 5 octobre 2012

Millenium tome 2 - Stieg Larsson



De quoi ça parle ?
Des meurtres, probablement liés à une enquête sur le commerce du sexe en Suède, mettent en route la machine médiatico-politico-judiciaire. Principale suspecte : Lisbeth Salander, l'héroïne asociale,  violente et supérieurement intelligente du tome 1. Problème, la jeune femme est introuvable. Même son ami et journaliste d'investion Blomkvist n'arrive pas à la contacter. Prouver son innocence reviendra à fouiner à la fois dans le passé trouble de la Suède et dans les mœurs pas toujours très cools de certains de ses citoyens les mieux nantis. 


C'est comment ?
Vous apprécierez ce roman si :
1/ vous n’avez rien contre les super héroïnes dans un thriller réaliste,
2/ ça ne vous dérange pas que le 1er meurtre prenne place bien loin des premières pages,
3/l’avalanche de détails triviaux comme le choix d’une pizza ou d’un meuble vous emballe,
4/vous trouvez cool que Stockholm soit une petite ville de province où tout le monde se croise juste quand il faut,
5/ vous aimez qu’un personnage, dont vous suivez le point de vue et les pensées pendant un bon moment, disparaît soudain parce que ça arrange bien l’auteur de retarder les infos que ledit perso vient de découvrir.

Ne vous y trompez pas pour autant : Millenium 2 est un roman formidable. Plus rythmé que le précédent, mu par une intrigue qui, certes, s’origine comme le tome 1 dans le passé mais se déroule au présent et dans une urgence très « thriller », il fait la part belle au suspense, à l’intelligence et à l’émotion.

Le journaliste d’investigation Blomkvist s’efface nettement au profit de Lisbeth Salander, héroïne aussi improbable qu’attachante, création puissante et couillue : il fallait au romancier une sacrée dose de confiance en son écriture pour insuffler une âme à un personnage flirtant avec l’autisme, tant la froideur, la retenue voire la violence ne sont guère propices à l’empathie. Mais Larsson a le talent de doser la glace et le feu pour composer une Lisbeth passionnante, à défaut d’être réaliste. Blomkvist n’a plus guère le temps de multiplier les conquêtes sexuelles : les vacances forcées mais pépères de sa 1ère aventure sont bien loin. Il perd même en consistance, au risque de devenir générique, laissant à d’autres protagonistes le soin de nous captiver. Petit tour de force de Larsson : ce sont les autres qui en parlent le mieux. Les points de vue de sa confère et maîtresse Erika Berger, de sa maîtresse et collègue Lisbeth Salander, de sa sœur ou des membres de son équipe de journalistes donnent une image fragmentée du bonhomme que le lecteur s’amusera à recomposer quand le récit lui en laissera le temps, c’est-à-dire pas souvent.

Cette fois les bad guys ont pris du muscle et plus question d’attendre la dernière partie du récit pour les voir en action : la menace, noire et tentaculaire, apparaît très vite, collant aux basques de tous les personnages. Le plus caricatural d’entre eux – un géant blond qui tue à mains nues et ne ressent aucune douleur – souffre d’hallucinations qui lui prêtent une étrangeté aussi romanesque que jouissive, aux franges du fantastique.
Les personnages secondaires ne sont pas en reste et Larsson invente une galerie de flics, d’agents de sécurité, de journalistes, de juristes intéressants à rencontrer. L’un de mes échanges préférés est d’ailleurs tout à fait accessoire : l’interrogatoire express d’une technicienne du son par un flic homophobe. Savoureux.

L’un des personnages essentiel dont le romancier tire le portrait est, bien entendu, Millenium : une revue « politique » dont aimerait qu’elle existe par chez nous (ou bien est-ce notre XXI ?). Nul doute qu’il s’agit plus ou moins d’Expo, le titre où bossait Larsson avant de disparaître. Certes, la revue est le point de départ du drame à venir et chacun de ses membres jouera un rôle dans le schéma général. Elle est aussi la raison de vivre de plusieurs personnages, si bien que le métier de journaliste, bien pratique pour l’auteur de polar au même titre que celui de flic puisque il fait de l’investigation le cœur même de son activité tout en lui accordant les outils nécessaires à ses recherches, se trouve ici éclairé d’une impérieuse volonté de justice sociale. Une quête qui conduit les uns et les autres à  dénouer morale et dilemmes personnels.

Sans doute plus encore que dans le tome 1, Larsson, par ailleurs essayiste chevronné et spécialiste des mouvements d’extrême droite, profite de l’intrigue pour instruire son procès à charge contre une société suédoise bien moins permissive et féministe que l’on aurait pu l’imaginer vu d’ici, à épingler l'impéritie des services sociaux, à dénoncer le cynisme d'état. Fait-il bon vivre là-haut ? Soudain, le lecteur n’en est plus si sûr – ou bien à fermer les yeux sur tout un tas de dérives désagréables. Un parti-pris déjà choisi dans les années 60 par Maj Sjöwall et Per Wahlöö, précurseurs du polar suédois.

On peut suivre ce roman sans avoir lu le premier : Larsson est assez malin pour glisser ici et là les informations nécessaires à la compréhension des enjeux et des relations entre les protagonistes. La plus éblouissante de ces techniques est le long épisode qui raconte une Lisbeth en vacances dans les Caraïbes. La péripétie a l’heur à la fois d’installer du rythme alors même que l’intrigue principale est loin d’avoir débutée, et d’introduire l’ensemble des facettes de Lisbeth Salander là où il avait fallu naguère tout un roman : son intelligence très supérieure, sa sociabilité particulière – elle parvient toujours à fédérer quelques bonnes âmes autour d’elle malgré un caractère intraitable et une forme avérée de solitude – sa moralité singulière que sert, si nécessaire, sa violence extrême.

Tant et si bien que l'on trouvera dans ce tome 2 tout ce qui fait d’un roman de genre une expérience totale : une intrigue principale passionnante, du rythme, des dialogues bien troussés, des fils épars toujours renoués, une héroïne inoubliable, des personnages secondaires crédibles, la description jamais appuyée des mécanismes des métiers d’investigation et, en creux, le portrait en clair-obscur d’une société moins « modèle » que l’on ne le répète de ce côté de la Baltique. 

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