De quoi ça parle ?
Molly avait trois amants. Le jour de ses funérailles, ils se
retrouvent autour du mari, un homme qu’ils détestent autant qu’il les méprise. Qu’ont
donc ces hommes en commun, sinon leur amour pour une femme libre et qu’une
maladie dégénérescente a condamné à une fin avilissante et rapide ? La
réussite sociale : Vernon est directeur de la rédaction d’un grand
quotidien, George a suffisamment d’argent pour détenir des parts dans ledit journal, Clive compose une symphonie du millénaire commanditée par le
gouvernement, Julian est sur le point d’accéder au rang de 1er
ministre de Grande-Bretagne. Un autre trait les rapproche :
Vernon et Clive sont restés amis après toutes ces années, au point de pouvoir exiger
de l’autre qu’il le conduise auprès d’un médecin pas très regardant sur l’éthique
et les protocoles d’euthanasie. Après tout on ne sait jamais, le mal qui a
rongé Molly en un temps record pourrait les atteindre eux aussi – et alors,
hors de question d’endurer l’infamie jusqu’à son terme. Enfin, un point commun lie tous
ces personnages peu à peu détestables, aussi imbus d’eux-mêmes que méprisants à
l’égard de ceux qui ne sauraient reconnaître leur talent ou compatir à leurs
tourments : une moralité plus que douteuse.
L’exploitation de photos compromettantes d’un côté, la non-dénonciation
d’un viol de l’autre feront voler en éclat ce microcosme bourgeois, dont les
soubassements ont déjà été entamés par les mensonges que l’on se fait à
soi-même, ces renoncements successifs qui n’ont d’autre dessein que la survie
du moi. L’amitié ? Un mensonge
supplémentaire, voire pire encore : le prétexte d’un duel si souvent retardé qu’il prendra une
dimension tragique à l'heure de sa résolution.
C’est comment ?
Ian McEwan fait ici œuvre de moraliste. Un art qu’il
pratique à l’aide d’un humour très noir et des contraintes librement adaptées
du thriller psychologique. Avec l’entrain d’un Lucifer, l’auteur mène sa petite
troupe très gauche caviar – à l’exception du ministre xénophobe, despotique et
anti-européen – jusqu’au bout de ses compromissions, de ses faillites. Les
grands principes naguère énoncés sans ambiguïté seront systématiquement piétinés,
au nom d’un égotisme qui n’est que le revers sombre de la tolérance, de la
générosité et du progressisme autoproclamés.
Très vite la machinerie cruelle se met en marche,
irrémédiable, définitive. Le ridicule aurait pu tuer cette coterie minable ;
ce ne sera pas suffisant. McEwan pousse peut-être trop loin sa logique et la conclusion
apparaît un peu outrée en regard d’une intrigue par ailleurs « réaliste »,
bien que menée tambour-battant. Ce qui n’empêche nullement ce bref roman, parfaitement
construit et posé dans un écrin d’une belle concision, d’offrir une lecture
réjouissante.
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