Après trois épisodes de la série Downtown Abbey, difficile de ne pas être élogieux.
Ecriture, casting, direction d'acteurs, soin accordé aux détails artistiques... C'est carton plein.
Et cette capacité à créer très vite un choeur de personnages à la fois cernées et en nuances, au gré des innombrables incidents : très très fort. Evidemment, on pense aux Vestiges du Jour et surtout à Gosford Park, écrit par le même Julian Fellowes (Oscar du meilleur scénario en 2002 et co-auteur de The Tourist, le blockbuster avec Jolie et Depp). Lequel scénariste est aussi comédien, réalisateur et représentant conservateur à la Chambre des Lords. Tant qu'à faire...
Détail amusant, l'une des femmes de chambre n'est autre que la wildlings que capture Jon Snow dans Game of thrones. Et une authentique aristocrate écossaise : Rose Eleanor Arbuthnot-Leslie.
Je n'irai pas jusqu'à dire que ça me passionne à chaque minute ou ne m'irrite jamais - la brève tirade sur la nécessité économique et humaine (!) de laisser un valet vous servir... servilement est dure à avaler.
Mais j' ai trouvé à ces 3 premiers numéros une grande classe.
dimanche 1 juin 2014
samedi 24 mai 2014
lundi 31 mars 2014
HANNA - Chemical Brothers
A Saint-Malo, on a la chance de recevoir les chaînes anglaises, grâce au relais de Jersey.
Samedi soir, j'ai regardé Hanna, un drôle d'action movie. L'excellente idée du film, en plus de mettre en vedette les très intenses Saoirse Ronan et Cate Blanchette - Eric Bana est pour une fois à peu près inexistant - fut de choisir les Chemical Brothers pour illustrer la bande-son. Pour être franc, je n'en savais rien durant le spectacle tout en m'étonnant des parties electros de la BO.
Swap - Antony Moore ; trad. Jean Esch
Description de l'éditeur :
Un simple échange entre enfants. Pas un timbre-poste, ni un jouet, ni un autocollant. Une BD, échangée contre un banal tuyau en plastique. Un acte anodin au départ. Mais avec le temps, le Superman numéro un a pris une immense valeur. Et Harvey, devenu libraire, de bandes dessinées justement, ne rêve que de le récupérer. C'est même une obsession, le seul but de sa vie d'adolescent attardé : retrouver ce comic rarissime... Mais après toutes ces années d'attente, son scénario longuement mûri va dérailler, et il se retrouvera pris dans un imbroglio impitoyable.
Voilà une comédie noire, dont la traduction de Jean Esch, spécialiste du thriller et que j'ai "rencontré" avec les ouvrages de Clive Barker et Patricia Cornwell, rend joliment les métaphores, la légèreté de ton, l'apathie un peu bougonne de son protagoniste principal : Harvey Briscow. On sourit beaucoup, on s'inquiète un peu. Et au bout d'un moment, on se demande où l'auteur veut en venir. Car le roman n'est pas exempt de maladresses, voire de faiblesses qui m'ont distrait de l'intrigue.
Moore impose à Harvey un comportement qui est une ficelle habituelle, et un peu lassante, de certains thrillers : plutôt que de rapporter aux autorités un meurtre, le protagoniste perd les pédales en décidant de garder pour lui sa macabre découverte, tout en conservant assez de lucidité pour dissimuler toute trace de sa présence sur les lieux. Le récit commence avec une certaine mesure de réalisme, de vérité même dans le portrait de sa galerie de loosers - Harvey retrouve d'anciens lycéens lors d'une réunion annuelle dans une ville de Cornouailles - pour l'abandonner quand cela semble l'arranger. J'ai fini par accepter me trouver dans une pure comédie mais ce renoncement n'a pas été sans dommage pour l'intérêt porté à l'intrigue elle-même. Comme si le décalage entretenu entre le comique et la situation plus dramatique ne fonctionnait plus passées les deux tiers du roman - 2/3, c'est déjà pas mal me direz-vous.
Autre petit regret : après un long moment, l'auteur qui avait jusque là suivit Harvey et lui seul, adopte un nouveau point de vue, le temps de quelques paragraphes. Un changement pas très heureux, déstabilisant mais de manière involontaire - mais où était l'éditeur ?
Au début plutôt sympathique, Harvey Briscow s'avère peu à peu minable et un singulier suspense naît progressivement : Moore parviendra-t-il à lui accorder un peu de crédit ou bien l'enfoncera-t-il toujours plus loin dans une beaufitude exaspérante ? En fait, Harvey n'évoluera pas de toute sa brève et traumatisante mésaventure. L'amour ni l'expérience de la mort ou l'exercice du mensonge ne le feront évoluer. Changer plus longuement et plus souvent de point de vue n'aura pas été une mauvaise idée. Mais peut-être Moore voulait-il simplement décrire les effets délétères de la bêtise lorsqu'elle s'avère constante. Finalement, McEwan ne fait pas autre chose avec le Mike Beard de Solaire.
Ne vous méprenez pas, Swap est divertissant, en grande partie grâce à sa légèreté, son invention comique - les rapports entre le héros, patron d'une boutique de comics, et son employé m'ont d'ailleurs fait penser à celles qu'entretient le personnage du "Haute-Fidélité" de Nick Hornby avec son propre vendeur. C'est un premier roman et il y a en germe une verve noire et moqueuse qui ne demande qu'à être développée le long d'une intrigue moins convenue.
Un simple échange entre enfants. Pas un timbre-poste, ni un jouet, ni un autocollant. Une BD, échangée contre un banal tuyau en plastique. Un acte anodin au départ. Mais avec le temps, le Superman numéro un a pris une immense valeur. Et Harvey, devenu libraire, de bandes dessinées justement, ne rêve que de le récupérer. C'est même une obsession, le seul but de sa vie d'adolescent attardé : retrouver ce comic rarissime... Mais après toutes ces années d'attente, son scénario longuement mûri va dérailler, et il se retrouvera pris dans un imbroglio impitoyable.
Voilà une comédie noire, dont la traduction de Jean Esch, spécialiste du thriller et que j'ai "rencontré" avec les ouvrages de Clive Barker et Patricia Cornwell, rend joliment les métaphores, la légèreté de ton, l'apathie un peu bougonne de son protagoniste principal : Harvey Briscow. On sourit beaucoup, on s'inquiète un peu. Et au bout d'un moment, on se demande où l'auteur veut en venir. Car le roman n'est pas exempt de maladresses, voire de faiblesses qui m'ont distrait de l'intrigue.
Moore impose à Harvey un comportement qui est une ficelle habituelle, et un peu lassante, de certains thrillers : plutôt que de rapporter aux autorités un meurtre, le protagoniste perd les pédales en décidant de garder pour lui sa macabre découverte, tout en conservant assez de lucidité pour dissimuler toute trace de sa présence sur les lieux. Le récit commence avec une certaine mesure de réalisme, de vérité même dans le portrait de sa galerie de loosers - Harvey retrouve d'anciens lycéens lors d'une réunion annuelle dans une ville de Cornouailles - pour l'abandonner quand cela semble l'arranger. J'ai fini par accepter me trouver dans une pure comédie mais ce renoncement n'a pas été sans dommage pour l'intérêt porté à l'intrigue elle-même. Comme si le décalage entretenu entre le comique et la situation plus dramatique ne fonctionnait plus passées les deux tiers du roman - 2/3, c'est déjà pas mal me direz-vous.
Autre petit regret : après un long moment, l'auteur qui avait jusque là suivit Harvey et lui seul, adopte un nouveau point de vue, le temps de quelques paragraphes. Un changement pas très heureux, déstabilisant mais de manière involontaire - mais où était l'éditeur ?
Au début plutôt sympathique, Harvey Briscow s'avère peu à peu minable et un singulier suspense naît progressivement : Moore parviendra-t-il à lui accorder un peu de crédit ou bien l'enfoncera-t-il toujours plus loin dans une beaufitude exaspérante ? En fait, Harvey n'évoluera pas de toute sa brève et traumatisante mésaventure. L'amour ni l'expérience de la mort ou l'exercice du mensonge ne le feront évoluer. Changer plus longuement et plus souvent de point de vue n'aura pas été une mauvaise idée. Mais peut-être Moore voulait-il simplement décrire les effets délétères de la bêtise lorsqu'elle s'avère constante. Finalement, McEwan ne fait pas autre chose avec le Mike Beard de Solaire.
Ne vous méprenez pas, Swap est divertissant, en grande partie grâce à sa légèreté, son invention comique - les rapports entre le héros, patron d'une boutique de comics, et son employé m'ont d'ailleurs fait penser à celles qu'entretient le personnage du "Haute-Fidélité" de Nick Hornby avec son propre vendeur. C'est un premier roman et il y a en germe une verve noire et moqueuse qui ne demande qu'à être développée le long d'une intrigue moins convenue.
jeudi 27 mars 2014
La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry arriva le mardi... - Rachel Joyce ; trad. M. F. Girod
A la retraite
depuis quelques mois, Harold Fry vient de recevoir la lettre d'adieu
d'une collègue, disparue 20 ans plus tôt. Cette Queenie se meurt
d'un cancer et se rappelle à son bon souvenir. Harry vit seul avec
son épouse. Étrangers l'un à l'autre, ils ne se parlent plus ou
presque. Une déchirure s'était ouverte entre eux, au moment même
où Queenie avait quitté son boulot sans un mot d'explication. Pétri
de remords, souffrant aussi d'une blessure jamais refermée – ses
rapports distants avec son fils unique – Harry rédige une réponse
laconique à Queenie et s'en va la poster à la boîte aux lettres la
plus proche.
Il ne s'y
arrêtera pas et prendra la décision de remettre en main propre la
courte missive.
Mu par une
force qu'il n'imaginait même pas posséder et qui n'est pas de la
rage mais sans doute la volonté de faire quelque chose de sa vie, de
réparer ce qui pourrait l'être, de rattraper le temps perdu en
prenant justement son temps, Harry s'embarque dans une marche longue
de 800 km. Seul. Du moins au début. En échange de cet effort il
demande à Queenie de tenir bon. N'étant pas physiquement préparé
à une telle aventure, inutile de dire que cela n'ira pas sans
problèmes.
Hanté par
des souvenirs qu'il est peu à peu contraint d'accepter, puis de
convoquer pour en tirer toute la vérité, Harry mène bien
évidemment un voyage vers lui-même. Au programme : ses échecs
affectifs. Un fils qu'il n'a pas su aimer, une épouse dont il a
semble-t-il définitivement perdu l'amour. Mais aussi des parents qui
ne l'ont pas aimé quand ils ne l'ont pas tout simplement abandonné.
Autant dire que Harold, naguère paisible représentant de commerce
pour un brasseur, tire quelques casseroles après lui dont il n'avait
pas voulu entendre le tintamarre tout le long d'une vie d'adulte sans
histoire. Sans histoire ? Pas sûr.
Qu'est-il
arrivé à son fils pour que leurs rapports se soient à ce point
délités ? Quel événement a conduit vingt ans auparavant au
départ précipité de Queenie, une démission éclair que Harry n'a
jamais eu le courage de questionner, laissant une certaine forme de
lâcheté défaire, là encore, les liens d'amitié qui l'unissaient
à sa collègue ?
Des
rencontres ponctuent sa marche, certaines décisives, d'autres plus
anecdotiques. Chacune est l'occasion de s'ouvrir au monde et aux
autres. Une initiation tardive, en quelque sorte.
Pendant ce
temps, Maureen, l'épouse, souffre plus ou moins en silence. Cette
maniaque du ménage qui a un beau jour décidé de faire chambre à
part en vient elle aussi à expérimenter remords et regrets. La
propreté, la pureté, même, de son intérieur reflète moins son
innocence que sa volonté d'être irréprochable. Une apparence
immaculée, obtenue à force d'heures d'efforts oublieux, qui
dissimule mal sa souffrance, la vacuité d'une vie de mère qu'elle
ne peut plus être, son fils étant adulte, d'une vie d'épouse dont
elle conserve juste les attributs mais plus la fonction et encore
moins les sentiments.
La relative
légèreté qui introduit le roman et l'expédition improvisée de
Harry laisse bientôt la place au drame que ne viennent pas gâcher
quelques notes d'humour, des situations presque burlesques. Malgré
un système convenu – un voyage initiatique rythmé de rencontres
marquantes, de leçons de vie édifiantes, d'épreuves variées qui
remettent en question ici et là la validité de l'entreprise –
Rachel Joyce parvient dès les 1ères pages à émouvoir.
Elle fait de
Harry un homme attachant, jouant avec l'apparente simplicité de ses
motivations, de son caractère même, pour mieux démonter, plus
tard, les mécanismes complexes de sa personnalité. Pour l'écrivain
et le lecteur l'intérêt des personnages âgés tient dans le chemin
parcouru et les pensées qui viennent interroger ce parcours :
quelles erreurs a-t-on commises ? Doit-on nécessairement les
répéter ? Reste-t-il seulement quelque chose à changer ?
Harry est
l'antithèse du Beard de « Solaire » que je venais de
terminer. Là où McEwan ne laissait que peu de chance de rédemption
tant à son protagoniste principal qu'au monde dans lequel il
évoluait, Joyce choisit l'empathie. Ce qui ne l'empêche aucunement
de donner à voir, par instant, la bêtise d'une société dévolue
aux joies du consumérisme ; elle y parvient à l'aide d'une
économie de scènes qui impressionne. Mais son propos n'est à
l'évidence pas là, toute préoccupée qu'elle est par le
destin de ce retraité et de son couple.
Il y a une
sorte de virtuosité dans cette apparente simplicité : celle du
style – Marie-France Girod livre une traduction sans la moindre
pesanteur – celle de l'histoire – un voyage en ligne presque
droite. Une sobriété qui met en valeur une sensibilité admirable,
une technique irréprochable où rien n'est de trop. Les métaphores
sont d'une justesse élégante. Les quelques pages d'émerveillement
pour la campagne anglaise, celle des bords de route, offrent des
respirations qui donnent à comprendre le renouveau s'opérant chez
Harry, lui qui n'a jadis connu lors de parcours semblables que
l'habitacle de sa voiture.
Les
rencontres sont étonnantes, sans verser dans un extraordinaire qui
annulerait Harry et la modestie de sa personnalité. Joyce trouve
chaque fois la juste mesure pour que les conversations et les
événements troublent Harold puis Maureen sans les changer tout à
fait, les poussant peu à peu à modifier leur vision du monde et de
leur relation.
Certes, Joyce
fait feu d'une manipulation un peu agaçante et déjà vue ailleurs,
mais cette « malhonnêteté » est si évidente que je
l'ai senti venir assez tôt dans le récit. C'est la partie mélo du
roman, une violence où s'origine toute l'intrigue ; elle justifie le comportement étonnant du retraité – cette improbable
randonnée vers une mourante. Mais on pourra arguer qu'elle sert le propos de Joyce et entretient une forme de suspense propre aux romans
anglo-saxons, la tradition littéraire du récit feuilletonnant qui
fait du moindre portrait psychologique un passionnant page
turner. Et grâce à l'intelligence d'un auteur qui sait
bouleverser à l'aide de mots simples et de personnages modestes, la
mièvrerie que j'appréhendais au vu des prémices est à peu près
inexistante.
Autant vous
prévenir, on pleure beaucoup. Un roman magnifique.
jeudi 20 mars 2014
Solaire - Ian McEwan ; traduction France Camus-Pichon
Description
de l'éditeur :
Michael Beard a atteint une cinquantaine plus que mûre. Il est chauve, rondouillard, dénué de toute séduction et, au moral, il ne vaut guère mieux. Mais il a dans le temps obtenu le prix Nobel de physique ; depuis lors il se repose sur ses lauriers et recycle indéfiniment la même conférence, se faisant payer des honoraires exorbitants. En même temps, il soutient sans trop y croire un projet gouvernemental à propos du réchauffement climatique. Quant à sa vie privée, elle aussi laisse à désirer. En coureur de jupons invétéré, Beard voit sa cinquième femme lui échapper. Alors qu'il ne croyait plus se soucier d'elle, le voilà dévoré de jalousie. Bientôt, à la faveur d'un accident, il pense trouver le moyen de surmonter ses ennuis, relancer sa carrière, tout en sauvant la planète d'un désastre climatique. Il va repartir de par le monde, à commencer par le pôle Nord? À travers les mésaventures de ce prédateur narcissique, incapable de se contraindre, Ian McEwan traite des problèmes les plus actuels. Et sur ces sujets très sérieux, il parvient à nous fait rire. Voici peut-être le roman le plus comique, le plus intelligent, le plus narquois de cet auteur, l'un des plus grands en Angleterre aujourd'hui.
Une fois
encore McEwan nous présente des personnages fort peu sympathiques, à
moins d'aimer la couardise, la prétention, le mensonge, la cruauté,
la violence faite aux plus faibles, l'égoïsme. Ainsi, Beard n'a
rien pour lui sinon de cumuler des défauts qui nous le rendent aussi
vivant qu'odieux, et parfois, soyons honnêtes, proche de nous.
Oui,
l'auteur tend nous durant 350 pages un miroir à peine grossissant,
il ne se fait pas prier et reste planté là, sa tête passant sur le
côté du cadre histoire de lire la nôtre, de tête, d'en croquer
les traits, les mimiques et d'interpréter ensuite tout le réseau de
non-dits, de décrypter et décrire l'univers malingre, ratatiné
d'avoir nourri tant d'ingratitude envers nos prochains.
Beard c'est
souvent nous, même si les récipiendaires d'un Nobel de physique ne
sont guère nombreux parmi les lecteurs de McEwan. Satiriste,
l'écrivain n'hésite pas non plus à se mettre en scène, à en
croire ses propos lus ailleurs sur la toile. Le séminaire écolo où
artistes et scientifiques sont conviés à échanger autour du
réchauffement climatique et de toutes ces sortes de choses, cette
improbable aréopage fourré dans un navire polaire, McEwan l'a vécu.
Ce qu'il raconte du désordre croissant – cette fameuse entropie
chère à la thermodynamique*– dans le vestiaire où sont déposées
parkas et protections contre le froid après chaque sortie, alors
même que les séminaristes s'essaient à mettre de l'ordre dans
leurs idée et dans le monde, ce foutoir plein du mépris inconscient
d'autrui McEwan l'a expérimenté. Tout comme l'épisode fort drôle
du paquet de chips : une anecdote que Beard racontera à son
auditoire lors d'une conférence pour s'entendre dire, quelques
minutes plus tard, que cette mésaventure n'est rien de plus qu'une
légende urbaine. McEwan réinvente ainsi en fiction une accusation
de plagiat qui lui a été adressée quelques années auparavant dans
des circonstances proches.
L'auteur
fait donc feu de tout bois, n'hésitant pas à tailler dans sa propre
forêt.
Peu importe
au bout du compte, car c'est plus Beard que son créateur qui nous
passionne avec un frisson de léger dégoût.
Toutes les
bonnes résolutions de Beard, car il en produit régulièrement avec
un mélange de mauvaise foi, d'aveuglement et de bonne conscience
acheté à moindre prix, se heurtent au mur de la velléité.
Quelles
sont les forces à l’œuvre, qui ont sapé la motivation et
entretenu la paresse intellectuelle d'un jeune homme jadis brillant,
et enflent continument son ego en le persuadant qu'il a raison de se
comporter si mal avec son entourage ? Ou peut-être, quelle
sont les forces qui ne l'ont jamais permis d'être autre chose qu'un
adolescent imbu de lui-même, un éternel gamin qui n'a d'égard pour
autrui que les services qu'ils voudront bien lui rendre. La réponse
est heureusement multiple et sans doute la problématique
concerne-t-elle beaucoup d'entre nous : difficile de ne pas
trouver chez soi au moins l'un des travers de Beard et au moins l'une
des solutions qu'il a inventées pour (ne pas) y remédier. Au
hasard : vouloir réformer voire sauver le monde mais s'avérer
incapable de s'occuper des siens.
Comme
ailleurs (toujours ?) chez l'auteur, les difficultés du couple
ne sont jamais bien loin du centre de l'intrigue. La force des
malentendus et des médisances exploite les moindres failles pour
abattre les chances de réconciliations : communiquer et
communiquer bien semble être un mirage. Chaque homme est une
forteresse déliquescente dont les murailles seraient envahies et
sapées par le lierre des relations hypocrites, intéressées, ou au
mieux mal comprises. Notre solitude est irrémissible.
McEwan enrobe ce portrait
d'une intrigue documentée, d'un chapelet de péripéties et d'une
bonne dose d'humour noir. Une authentique comédie dramatique, tirant
vers la farce, dotée de quelques plaisantes remarques sur le
réchauffement climatique et la façon dont nous nous colletons au
problème.
La
traduction de France Camus-Pichon montre
un style sobre, direct mais jamais simpliste, plutôt avare de
dialogues et toujours précis.
L'auteur
conclut sa fable avec une fin morale en forme de punition pour celui
qui n'aura cessé de préparer l'irréparable, de piétiner ses
semblables jusqu'à rire, s'il le faut – et cette nécessité naît
de la survie de l'orgueil – de ses propres maladresses,
insuffisances ou, plus rarement, de ses erreurs. C'est dommage :
la réalité, et donc d'une manière assez sûre la vérité, sait
très bien épargner les ordures.
mercredi 12 mars 2014
Ne Cherche pas à savoir, Nicom - la studio session
Ou la session studio, comme on veut :-)
Libellés :
musique,
My Major Company,
Ne cherche pas à savoir,
Nicom
samedi 8 mars 2014
American Bluff - David O. Russell
Attention, spoilers, un peu.
Sidney
Prosser (Amy Adams) et Irving Rosenfeld (Christian Bale) se sont
rencontrés lors d'une party et ont découvert leur passion commune
pour Duke Ellington. En pleine vague disco, ce raffinement n'annonce
rien de leur passé ni de leurs facultés. Car l'un et l'autre sont
des survivants. En plus de détenir une chaîne de pressing, Irving
deale de faux tableaux de maître et prête l'argent qu'il n'a pas à
des emprunteurs aux abois.
C'est un
arnaqueur.
Sidney qui a
cherché à New York un antidote à son destin malade rejoint l'homme
et sera désormais une pièce maîtresse de ses mises en scène :
aussi glamour que Rosenfeld est banal, il lui suffira de se
transformer en aristocrate britannique pour convaincre les éventuels
gogos indécis de plonger.
Les affaires
du duo tournent à plein régime jusqu'au jour où un agent du FBI,
Richie DiMaso (Brad Cooper), les piège. Fin de partie et début des emmerdes. Le flic leur
propose un marché : l'immunité contre quatre flagrants
délits de corruption qu'ils auront contribué à révéler. Car le
jeune officier est ambitieux et prêt à pousser n'importe quel élu
à la faute. Leur arrestation seront les marches de sa promotion.
Faut-il fuir
ou accepter le deal ? Au grand dam d'Adams, l'existence d'un fils
adoptif et d'une épouse capricieuse et imprévisible dans la vie de Bale élimine
bien vite tout velléité de fuite. Il faudra donc collaborer.
Première
cible, Carmine Polito (Jeremy Renner) le jeune maire d'une cité du
New Jersey aux portes de NY, aimé de tous. Mais ce père de famille
qui ne songe qu'à reconstruire la ville-casino Atlantic City refuse
la mallette bourrée de billets qu'on lui propose. Il a beau côtoyer la Mafia, il ne
mange pas de pain-là – pas encore. Dommage, car des caméras
cachées montées par le FBI dans la suite d'un palace s'apprêtait à
enregistrer le forfait. En cause, la maladresse du flic – il a
investi pour l'occasion une nouvelle identité : il est l'intermédiaire d'un cheik que
les investissements sur le territoire américain intéresseraient.
Il faudra
toute la ruse et le bagou d'Irving pour convaincre l'élu d'accepter in fine la proposition malhonnête.
C'est ici que
débute l'histoire de ce trio rassemblé sous la double contrainte de
la survie et de l'ambition. Une histoire qui tient de la fable morale
et de la romance.
Le scénario
est inspiré de faits réels, comme l'annonce brièvement un carton
au début du métrage. Il s'agit en fait de l'Abscam, un plan monté
par le FBI pour coincer des représentants du Congrès. Leur pièce
maîtresse était justement cet arnaqueur confondu et dont
l'acquittement était conditionné à l'aide qu'il apporterait au
Bureau pour confondre des politiciens. Eric Warren Singer en avait
écrit une 1ère mouture. Une fois attaché au projet, David O.
Russell s'est ingénié à lui conférer les atours de la comédie
dramatique, où les personnages évoluent sans cesse entre la
caricature et la profondeur.
Il s'est
entouré d'un casting de 1er ordre, un quatuor nominé aux Oscars, la
2e fois qu'un tel événement se produit depuis 1981 – la 1ère
était avec le métrage précédent de Russell. On a beaucoup parlé
des kilos pris par Christian Bale pour incarner Irving Rosenfeld, un
transformisme dont il est désormais familier – on se souvient de
sa silhouette famélique dans The Mechanist. Quant à Brad Cooper,
les journalistes n'ont eu de cesse de le questionner sur ses
bouclettes, comme si elles tenaient lieu de génie de l'acting.
Mais
si l'un et l'autre sont parfaits dans leur rôle, ce sont les femmes
qui l'emportent ici haut la main.
A l'instar de
Cooper, Jennifer Lawrence jouait déjà dans le précédent métrage
de Russell, Happiness therapy. Elle y interprétait le rôle
principal auprès de Cooper. Cette fois, elle est une jeune mère
instable, dépressive et manipulatrice. Son mariage, fondé sur la
volonté de Bale de protéger à tout prix son fils adoptif, est un
échec. Bale attendait autre chose de cette relation ? Lawrence
hausse les épaules et la résume à ces quelques mots : « on
s'engueule puis on baise, c'est comme ça qu'on a toujours
fonctionné ». Mais surtout, Lawrence est aussi folle
qu'inconséquente et colérique. Mettre le feu à sa maison n'est pas
un souci. Très vite elle incarne à elle seule l'inquiétude
croissante qui entoure les opérations du trio : parce qu'elle a
volé une conversation téléphonique entre Bale et Cooper,
Lawrence menace constamment son époux de mettre à bas sa couverture
auprès de la Mafia. L''Honorable Société est en effet très vite
intéressée par les investissements du « cheik » :
Atlantic city et les casinos, c'est son terrain de jeux bien sûr. La
détestation de Lawrence pour Adams, qu'elle comprend être la
maîtresse de son mari, envenime les relations avec un homme dont
elle ne veut pas se séparer, malgré tout ce qui les éloigne.
Bien qu'un
peu jeune pour le rôle, l'actrice convainc en bombe – sexuelle –
à retardement.
Et puis il y
a Amy Adams. Je l'avais déjà remarquée dans The Master : elle
y jouait l'épouse dévouée et plutôt discrète du gourou. Ce qui
n'empêchait pas son personnage très bcbg d'éclairs d'affirmation,
d'autorité et de manipulation dans ses trop rares interventions à
l'écran. En quelque sorte la femme de l'ombre sans laquelle la
réussite de son mari serait un rêve un peu vain.
Ici elle
interprète de nouveau la complice indispensable, celle qui permet
aux arnaques, mais aussi à la vie affective de Bale de franchir un
cap décisif. À moins que cela ne soit l'inverse. Car qui mène la
danse ? Difficile à dire jusqu'au moment où le système
bascule et entraîne le couple entre les mains du FBI et le rapproche
dangereusement de la Mafia. C'est alors Sydney qui prend les choses
en main. Qu'elle soit glamour en diable ou proie effrayée, voire les
deux en même temps, elle secoue le spectateur, sans que ce dernier,
manipulé tout autant que les hommes à l'écran, sache jamais quel
jeu joue la jeune femme.
Est-elle
amoureuse du federal ? Préfère-t-elle toujours son
arnaqueur ? Ne songe-t-elle plutôt qu'à songer sa peau aux
dépends de tous ?
La scène
qui annonce la rédition des arnaqueurs à l'agence gouvernementale
est animée par le calme noir, déterminé dans son effroi, d'Adams.
Sans maquillage, illuminée d'un bleu sans concession, épuisée par
trois jours de garde à vue elle bouleverse lorsqu'elle annonce que
désormais, elle ira jusqu'au bout. Au bout de l'opération imposée
par l'agent du FBIl, au bout de leur système d'arnaque, au
bout de tout, même si cela signifie séduire le flic qui les a
piégés. Une décision en mémoire de son amour perdu – elle
n'aura de cesse de reprocher à Bale son mariage.
Le film peut
alors glisser dans le drame.
L'east coast
en 78, les petites arnaques, la bande son semée de pistes 70's, le
ton proche de la comédie : le projet aurait fait le bonheur du
Soderberg de The Limey, Loin des Yeux, voire Ocean's Eleven. On
imagine aussi quel film Scorcese aurait composé sur cette trame :
les mouvements d'appareil virtuoses, la violence froide et outrée,
les effets de montage ; ou même Tarentino – Jackie Brown
n'est pas très loin après tout de ce schéma d'arnaque menée par
une femme aux abois sous les auspices du FBI.
Russell
fourbit même un DeNiro en tueur à gage, dont l'apparition suffit à
convaincre le spectateur de l'extrême péril dans lequel s'est
fourré le couple (ce n'est pas DeNiro que l'on voit, ni même son
personnage mais des décennies de filmographie, en un sous-texte
aussi tacite qu'éloquent).
Mais ces
réalisateurs seraient-ils parvenus à ce niveau d'intensité avec
les personnages, à ce degré d'empathie ? Auraient-ils maîtrisé
cet aller-retour incessant entre drame et comédie ? La
réalisation de Russell, sans esbroufe, soutenue par une photographie
dont le grain et la palette rappellent les émulsions 70's, est très
souvent au plus près des visages et contribue à faire d'American
Bluff une totale réussite.
jeudi 27 février 2014
Supercondriaque - Dany Boon.
Il y a des
jours comme ça où le monde conspire contre vous. Après des
tracasseries administratives, un verre brisé, des péripéties
informatiques il s'agissait de se distraire au cinéma et utiliser nos
tickets qui arrivaient à échéance ce soir-là. Notre choix :
Grand hôtel Budapest. Je n'avais encore rien vu de Wes Anderson
sinon quelques minutes d'un DVD qui avait conservé ses trésors
aquatiques pour cause de rayures irréductibles. Mais à l'heure de
la séance, la salle était déjà complète. Faute de grives...
Nous nous sommes tournés vers une comédie française, genre que je
ne goûte guère (prout) et encore moins au cinéma.
C'est
l'histoire d'un mec hypocondriaque donc, qui envahit depuis 18 ans le
cabinet puis la vie privée de son médecin. Pas méchant bougre bien que
loufoque avéré et célibataire endurci – les microbes s'échangent si bien par la bouche - notre Romain Flaubert décidera de brusquer sa névrose en accompagnant son ami de médecin à Calais. L'idée :
accueillir et donner les premiers soins sous la bannière de MSF à
des réfugiés du Tchékistan, un pays tiraillé par une guerre
civile et dont la famille dudit doc est originaire. Présents sur les
lieux, un important dispositif policier mais aussi et surtout, la
sœur de doc Svenka, toute acquise à la cause des réfugiés et à
leur combat politico-armé, mené par le mystérieux Miroslav Anton .
Dire qu'elle
fantasme sur lui est un euphémisme.
Et quand le
spectateur découvre que dans le cargo voyage, à l'insu de tous, le
libérateur/terroriste/résistant/héros guerrier, qu'il ressemble
étrangement à Romain Flaubert et que ce Miroslav profite illico de
cette formidable opportunité pour piquer les papiers de
l'hypocondriaque et s'installer chez lui, on devine quels quiproquos
vont débouler dans la vie des protagonistes.
Niais mais
opportuniste, Romain adopte bien vite l'identité de Miroslav :
elle lui autorise toutes les audaces auprès de la sœur militante et
lui permet dans un même mouvement de squatter la maison très
bourgeoise et le cœur de son hôtesse, les deux en clandestin
puisque la jeune femme est – mal – mariée.
Tout cela est
parfaitement idiot et assez souvent drôle, du moins quand on aime
bien Dany Boon. Je ne l'ai jamais vu au cinéma ou à la tv ailleurs
que dans quelques sketchs, extraits ou bande annonce – et chaque
fois il m'a bien fait rire. De là à payer 10 €...
De rat et de Fairlight
Cette nuit, une couette sur le dos
et à cheval sur mes propres épaules (pour tout dire je ne savais pas
qu'une telle acrobatie était possible), j'ai découvert une boutique
d'instruments de musique au bout de ma rue. Un client essayait un
antique Fairlight* avec pour sélection de sons un Floppy à l'illustration guerrière.
Une vendeuse est venue me dire avec
le sourire que je ne devais pas m'asseoir sur la table, ce que je
peux comprendre. Du coup je suis sorti du magasin et me suis envolé
– il suffit de se concentrer, ça semble chaque fois un peu
difficile mais la volonté me lévite, avec ou sans couette. D'ailleurs je vous invite fortement à essayer, l'impression est
grisante, irremplaçable.
Peu après je me suis retrouvé à
l'appart avec un gamin de 2 ou 3 ans et j'ai espéré qu'il n'allume
pas une clope parce que c'est plutôt son genre – d'ailleurs
n'était-il pas en train de tripoter de vieux mégots sous mon nez ? Je ne me suis pas senti de taille à lutter si l'envie
lui en prenait à cette heure matinale.
Je ne sais plus à quel moment
dans ce bazar j'ai eu un rat entre les mains, dans la cave où se
trouve sa cage, à St-Malo. J'ai hésité à lui présenter le lapin
qui se tenait derrière la porte, ne sachant trop quelle réaction
attendre d'un omnivore peu réputé pour sa bienveillance à l'égard
d'autres espèces. J'ai joué avec le rat, le faisant tomber d'un
peu trop haut sans doute ; alors il se déployait comme une
peluche ou une chaussette sans avoir l'air de m'en vouloir pour ma maladresse, ou, pire ma cruauté gratuite et infantile.
Puis le stress est
monté, l'animal l'a absorbé et lui et moi on s'est énervés, il
m'a mordu. J'avais le doigt en sang, il a fallu quitter la cave.
Les rêves, quelle connerie. J'ai
bien peur que ce documentaire sur les requins, ce film de Dany Boon et ces lectures sur la création du 1er sampler moderne ne m'aient marqué plus que je ne
l'aurais souhaité.
* Pour ceux qui ne connaissent pas, Art of Noise jouait quasi exclusivement de cet instrument sur leur 1er album. Balavoine en avait acheté un ; "Tous les cris les SoS" est composé et joué sur cette machine. Ou la BO de Rain Man, par Hans Zimmer. A l'époque, sa 4e incarnation - et la dernière - coûtait 50 000 livres sterling. Cinquante mille, vous avez bien lu. Pourtant, c'était tout juste de quoi recouvrir les frais de fabrication. La boîte n'a pas tardé à couler avant de réapparaître dans le monde de la vidéo, puis de nouveau du son. On trouve même une appli pour i-bidules. Et, comme c'est étonnant, elle n'est pas donnée... Dans tous les cas, cette compagnie australienne a été précurseur dans son domaine et son influence se fait sentir jusqu'à aujourd'hui dans la manière de composer par "pattern" dans un ordinateur. Ci-dessous, la fameuse Page R. Nous sommes au milieu des années 80. Pour en savoir plus et écouter les sons les plus emblématiques, c'est ici.
d.r. Greg Holmes
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