dimanche 26 février 2012

Boss


Planté au beau milieu d’un entrepôt désolé, un certain Tom Kane écoute sans broncher la litanie de symptômes qui l’attendent. Il lui reste cinq ans à vivre. Cinq années d’une lente descente aux enfers, où son corps l’abandonnera peu à peu, où sa mémoire se diluera dans les affres d’une maladie dégénérative. Le médecin, tenu au secret, quitte les lieux. Quinqua à la mâchoire carrée, le malade encaisse la nouvelle avant de s’effondrer une fraction de seconde et de se reprendre illico. Parce qu’il ne laissera pas tomber, Tom Kane, il ne lâchera rien, ne dira pas un mot sur la faiblesse majeure qui l’accablera d’ici peu. Ce n’est pas son genre. Il est maire de Chicago.
L’heure qui suit dresse le portrait d’un homme sans concession, leader manipulateur et violent, agrippé aux rênes de sa cité. Autour de lui, une éminence grise qui ne s’émeut pas de ses coups de gueule ; une assistante aussi glamour qu’improbable ; une épouse vouée au caritatif, glaciale, déterminée, aussi attachée au maintien de l’équipe municipale que détachée de son mari. Plus loin, mais tout près, une fille assistante sociale, prêtre et junkie ; elle passera le pilote à jouer au chat et à la souris avec daddy. On flaire les comptes à régler, le schéma du père accaparé par son métier, oublieux de ses gosses. Toutefois Boss met très vite les mains dans le cambouis politicard : derrière le discours méritocrate, les références émues aux pionniers se cache avec la discrétion d’un évêque dans un peep show toute la violence d’un édile lié aux mafias. Relation symbiotique volontaire ? La force de ce 1er segment est de ne pas prendre parti : faire tourner la boutique exige ces compromissions et on ne saura pas qui de l’ambition personnelle ou du service dû au public motive Tom Kane.
Quant à la métaphore médicale qui fonde la série, elle n’est certes pas très fine : la dégénérescence de l’homme comme de la cité est inéluctable et elle sera dévastatrice. Ok pour le message. Ce qui ne l’empêche pas d’être prometteuse : le voyeur qui sommeille en chacun de nous guette avec gourmandise les premiers symptômes, a fortiori leur manifestation publique. Reste à éviter le risque du bégaiement, de la redite. La brutalité uppercut, elle, a des airs de Scorcese et on prend la mouche un peu vite, sur les rives du lac Michigan. En fait, c’est tout le projet qui avance sur la corde raide : d’un côté le drame politique et la mise en image du pouvoir et de ses rouages, si elle n’est pas nouvelle, passionne ; de l’autre, les affres intimes de chaque protagoniste, les relations et leurs conflits pour l’heure esquissés sont trop clichés pour captiver : pas difficile de deviner où le scénario compte nous entraîner, du moins dans ses 1ers épisodes. Quant aux minorités de la 3e ville des USA, elles y sont souvent représentées avec une paresse qui frise l’insulte : les jeunes Noirs sont dealers, les Latinos sont de grandes gueules, les Indiens ne pensent qu’à la paix des Grands Anciens.
Co-producteur de cette série écrite par Farhad Safinia (qu’il ait co-écrit Apocalypto en dit long sur le rapport entre pouvoir et violence de Boss) van Sant délivre une réalisation elle aussi paresseuse, toute entière caméra à l’épaule - pour l’effet de réel sans doute. Exceptions notables : quelques gros plans bien choisis, une scène de sexe clipesque entre l’assistante - une survivante de la série teen Beverly Hills - et le challengeur du gouverneur, un beau gosse qu’on peine à imaginer dans ce rôle de prédateur. C’est que le casting est inégal et tente de se faire une place à l’ombre d’un immense Kelsey Grammer, impeccable dans le rôle titre, d’un crédible Martin Donovan, bras droit de mr le Maire. A eux deux ils sont la très belle surprise d’un pilote punchy, particulièrement bien monté, intrigant et prometteur malgré des poncifs pas toujours de très bon goût.

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