mercredi 31 octobre 2012

Amsterdam - Ian McEwan




De quoi ça parle ?
Molly avait trois amants. Le jour de ses funérailles, ils se retrouvent autour du mari, un homme qu’ils détestent autant qu’il les méprise. Qu’ont donc ces hommes en commun, sinon leur amour pour une femme libre et qu’une maladie dégénérescente a condamné à une fin avilissante et rapide ? La réussite sociale : Vernon est directeur de la rédaction d’un grand quotidien, George a suffisamment d’argent pour détenir des parts dans ledit journal, Clive compose une symphonie du millénaire commanditée par le gouvernement, Julian est sur le point d’accéder au rang de 1er ministre de Grande-Bretagne. Un autre trait les rapproche : Vernon et Clive sont restés amis après toutes ces années, au point de pouvoir exiger de l’autre qu’il le conduise auprès d’un médecin pas très regardant sur l’éthique et les protocoles d’euthanasie. Après tout on ne sait jamais, le mal qui a rongé Molly en un temps record pourrait les atteindre eux aussi – et alors, hors de question d’endurer l’infamie jusqu’à son terme. Enfin, un point commun lie tous ces personnages peu à peu détestables, aussi imbus d’eux-mêmes que méprisants à l’égard de ceux qui ne sauraient reconnaître leur talent ou compatir à leurs tourments : une moralité plus que douteuse.
L’exploitation de photos compromettantes d’un côté, la non-dénonciation d’un viol de l’autre feront voler en éclat ce microcosme bourgeois, dont les soubassements ont déjà été entamés par les mensonges que l’on se fait à soi-même, ces renoncements successifs qui n’ont d’autre dessein que la survie du moi. L’amitié ? Un mensonge supplémentaire, voire pire encore : le prétexte d’un duel si souvent retardé qu’il prendra une dimension tragique à l'heure de sa résolution.

C’est comment ?
Ian McEwan fait ici œuvre de moraliste. Un art qu’il pratique à l’aide d’un humour très noir et des contraintes librement adaptées du thriller psychologique. Avec l’entrain d’un Lucifer, l’auteur mène sa petite troupe très gauche caviar – à l’exception du ministre xénophobe, despotique et anti-européen – jusqu’au bout de ses compromissions, de ses faillites. Les grands principes naguère énoncés sans ambiguïté seront systématiquement piétinés, au nom d’un égotisme qui n’est que le revers sombre de la tolérance, de la générosité et du progressisme autoproclamés.
Très vite la machinerie cruelle se met en marche, irrémédiable, définitive. Le ridicule aurait pu tuer cette coterie minable ; ce ne sera pas suffisant. McEwan pousse peut-être trop loin sa logique et la conclusion apparaît un peu outrée en regard d’une intrigue par ailleurs « réaliste », bien que menée tambour-battant. Ce qui n’empêche nullement ce bref roman, parfaitement construit et posé dans un écrin d’une belle concision, d’offrir une lecture réjouissante. 

vendredi 26 octobre 2012

Goldfrapp - Felt mountain





Alors que l'automne s'installe, l'heure est venu de sortir le 1er opus de Goldfrapp. Il faut arpenter cette forêt que l'aube tiédit à peine, et cheminer parmi les brumes vers ce cirque abandonné pour retrouver ces parfums d'humus, cette nostalgie d'été. Vous entendez les bannières frotter les hampes rouillées ? Dans l'ombre, des Dryades guettent vos larmes et attendent que l'harmonium entament le silence avant de se mettre à danser. 
Il y a plus de douze ans, Alison Goldfrapp et Will Gregory s'enfermaient de longs mois au fin fond de la campagne anglaise pour enregistrer cet album inégalé. Ennio Morricone, Nina Rota ou Billie Hollyday s'invitaient parfois à leur table, entre deux synthés vintage. 
Je ne vois que les Britanniques pour oser ces étranges recettes qu'il ne faut jamais lire mais toujours savourer.

jeudi 25 octobre 2012

Twilight - ELO





Alors que la presse bobo bamboche sur les bandes des barons Haribo que sont Passion Pit ou Two door cinema club, il convient de rappeler à tout ce beau monde épris de nouveauté d'où vient cette ardeur juvénile. Electric Light Orchestra et son merveilleux album, bourré d'idées, de sons et de bonne humeur jusqu'à la gueule. 
Me remerciez pas, c'est cadeau.

mardi 23 octobre 2012

Muse - The 2nd Law


A force de jouer le grand écart triangulaire (aaaïïïe !) entre pop sèche, rock gras et glam-rock symphonique, on en vient à se demander si :

  1. Muse a du mal à se trouver
  2. Muse aime un peu tout et tient à le faire savoir
  3. Muse ratisse large pour ne louper aucune oreille.

Dans tous les cas, on dirait une crise d'adolescence permanente, un résumé de quatre années de collège à passer d'une tribu à l'autre, jusqu'au moment où les 1ers piercing font tâche sur l'intégrale chalala, les boots cloutés déparent sous la jupe altermondialiste. Dans tous les cas, c'est techniquement irréprochable et ressemble à tout un tas de trucs déjà anciens, Queen en tête. Bah, pourquoi pas si l'énergie est là ? Tant qu'on ne s'attarde pas sur les lyrics à messages - l'adolescence, toujours - on devrait passer un bon moment.

Et maintenant on va écouter avec attention le sucre roux de Bat for Lashes : son Haunted man sera-t-il à la hauteur de l'excellent Two Suns ? Rah...

lundi 22 octobre 2012

The Wire

Alors voilà, j'ai vu le 1er épisode - le pilote, yeah - de la très beaucoup fameuse top série qu'elle serait mais trooop bien : The Wire. 
Sûr que ça fait sérieux. On y parle vraiment entre gars, sans tabou, avec les majeurs tendus quand c'est qu'il faut. L'inspectrice des stups a des couilles ; bon, elle est lesbienne : bonus crédibilité pour spectateur bobo. Le flic moyen a chaud à ses fesses parce que la hiérarchie elle pense qu'à son avenir dans la boîte, pas au bien être des collègues zé concitoyens. La justice ? C'te blague ! Les tueries ? Zéro panpan : d'abord on cause, tendance "réaliste". C'est important le réalisme : ça permet de voir à quel point ça craint outre-Atlantique, des fois qu'on doutait, que la téci elle va craquer, qu'on peut prendre son pied à mater la misère des autres et le tragique policier, bien peinard au fond de son canapé - voire dans le train si on est équipé au poil. 
Du polar social. L'anti Les Experts à Disneyland.
Vrai, c'est bien écrit et certains acteurs sont épatants. On sent le potentiel, on veut y croire. 
Reste qu'on a droit à la énième histoire de flics un peu ripous, un peu sympas, en quête des inévitables dealers noirs, le tout sous fond de corruption politico-policière dans une grande ville à la dérive - Baltimore, Chicago, NY, Philly, LA... you name it. 
En fait, le genre d'épisode qui recycle un certain cinéma des 70's, de French Connection à Serpico. De là à dire que c'est nouveau et passionnant...
A suivre, donc. 

Le Prestige - Christopher Priest



De quoi ça parle ?
Alfred Borden et Rupert Angier, deux prestidigitateurs hors du commun, s’affrontent dans un duel sans merci, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Description adaptée de l’éditeur – et inutile d’en dire plus.

C’est comment ?
Ce roman épistolaire, récit d’une concurrence acharnée entre deux artistes et aux allures de guerre psychologique, physique et économique est un long frisson que le visionnage antérieur du film de Nolan n’entame en rien. Bien au contraire : connaître les secrets de magie que Borden et Angier inventent pour s’illustrer dans l’Angleterre victorienne offre une relecture passionnante du conflit. 
Priest crée des protagonistes puissants, certes entièrement tournés vers leur métier – on n’en sortira guère – mais nuancés. Là où Rupert Angier se montre arrogant, prétentieux et un peu bête, Alfred Borden s’avère réfléchi, honnête et intelligent. Tandis que le second devient obsédé et flirte avec la folie que son « numéro » (nous ne le révélerons pas ici) instille peu à peu, le second regrette bientôt le conflit qu’il a contribué à entretenir. La grande surprise du livre vient d’ailleurs de cet Angier. La forme qu’a choisie Priest pour transcrire son existence y est pour beaucoup : un journal intime que l’illusionniste tient de manière épisodique dès l’âge de neuf ans. Son évolution se révèle au fil des décennies, d’une entrée à l’autre.
Borden, lui, livre son existence en une somme rédigée vers la fin de sa vie, où l’on ne saisit qu’à la conclusion – sauf si l’on a vu le film – l’ampleur du sacrifice que son métier a impliqué, que sa réussite a exigé. De l’énormité de ce tour, l’Homme Transporté, dépendra d’ailleurs la mort de plusieurs individus. Quel artiste pourrait vivre en toute sérénité avec un tel poids sur la conscience ?

Une histoire contemporaine encadre ces deux témoignages : celle des descendants des magiciens, dont la rivalité sans merci a engendré des conséquences près d’un siècle après le dernier baisser de rideaux. Le récit d’Andrew Borden, journaliste obnubilé par l’existence d’un jumeau fantôme qui s’adresserait à lui à l’aide d’une voix intérieure, convainc moins que l’histoire de Kate Angier : l’héritière du comte magicien ressasse un traumatisme d’enfance, directement lié aux événements du passé.
L’époque est quant à elle trop esquissée pour vraiment passionner. Un choix cependant en accord avec la forme du témoignage : les protagonistes conte un long affrontement et c’est  sans aucun doute cela qui a motivé l’auteur. Avec en corollaire ce bénéfice pour le lecteur : point de longues descriptions techniques et historiques. On en trouvera toutefois bien plus que dans cette autre bataille de magiciens parue récemment : Le Cirque des rêves. Autrement dit suffisamment pour dresser une scène vivante et dotée d’un peu de profondeur de champ.

Priest a énormément de talent. Et il en faut pour proposer un récit à points de vue multiples, comme autant de témoignages directs. Le "je" épistolaire multiplié par quatre, rien moins que cela. L’exercice est périlleux : il faut accorder à chaque témoin une voix particulière, une façon de voir singulière et qui le distingue très vite des autres. Omission ou dissertation, emphase ou retenue : voilà de quoi montrer, de quoi vivre des mêmes événements avec autant de nuances que de protagonistes. Priest excelle à ce jeu où la subjectivité est une maîtresse captivante, généreuse en mensonges et demi-vérités.

Nolan a eu l’intelligence de choisir ce roman pour en composer un film original, aux rebondissements parfois plus cruels encore que ceux de Priest, évacuant de son scénario ce qui en aurait terni l’efficacité, compromis l’immersion : pas question de revenir au présent, par exemple et de s'intéresser aux descendants. Sa direction d’acteur a tiré le meilleur de comédiens au registre pas toujours très étendu - Christian Bale.  En metteur en scène bourré de talent, il a su créer une atmosphère tour à tour follement élégante, intrigante et enfin d’une profonde noirceur. Une œuvre et son adaptation qui se complètent et se valorisent : l’occasion est trop rare pour s’en priver.


Excellente traduction de Michelle Charrier.

A noter : Priest a tiré son histoire d'une confrontation bien réelle : celle qui opposa Giuseppe Pinetti et Edmont de Grisy.

lundi 15 octobre 2012

Le Cirque des rêves - Erin Morgenstern




De quoi ça parle ?
C’est un cirque et c’est un jeu.
Un lieu magique et itinérant, aux dizaines de chapiteaux plus extraordinaires les uns que les autres. Un producteur de spectacle britannique en est le créateur. Pourtant il ne lui prête pas vie : Célia Bowen et Marco Alisdaire s’en chargent. Deux jeunes gens, deux magiciens aux pouvoirs extraordinaires dans l'Europe du XIXe siècle finissant.
C’est un cirque et un défi. Célia et Marco en sont les adversaires malgré eux. Leurs mentors respectifs en ont décidé ainsi : ils devront s’affronter au travers de leurs créations, d’un chapiteau l’autre, de numéro en numéro. Jusqu’au bout. Du moins, telle est l’idée. Ce serait possible, si seulement les deux joueurs ne s’amourachaient l’un de l’autre, compromettant ainsi à la fois leur vie, celle de la grande troupe du cirque et du cercle plus large de ses admirateurs.


C'est comment ?
Morgenstern, dont c’est le premier roman, déploie un imaginaire gentillet, peuplé de personnages parfois sympathiques, souvent archétypaux. L’intrigue elle-même ne manque pas d’intérêt, malgré les nombreuses facilités qu’autorise l’usage intensif du surnaturel. Bien sûr, « c’est avant tout une formidable histoire d’amour ». Qui résiste à la volonté cruelle de deux vieux barbons, susceptibles, prétentieux et englués dans une guéguerre ancestrale dont les batailles sont toujours renouvelées. Aux dépends de leurs protégés.
Hélas, Morgenstern ne fait pas grand cas de l’époque ni des lieux où s’affairent ses protagonistes : Prague ressemble à Londres qui est semblable à Paris, Concord ou Boston. La magie ? Elle n’est jamais très définie, même si l’auteur s’évertue à nous affirmer combien celle qu’emploie Célia diffère de celle dont use Marco. Évidemment, le cirque et ses merveilles oniriques concentrent toute l’énergie de l’auteur. Ses idées tissent un univers un peu gothique, toujours magique, follement romantique. Mais la description des numéros qui attirent la foule de tous les continents finit par lasser. Heureusement, les chapitres brefs et un fil narratif parallèle donnent du rythme à un récit parfois flottant, comme en admiration devant ses propres tours, emporté par l’illusion d’un temps qui s’étire sans marquer la moindre ride sur les visages de ses personnages. D’ailleurs, les années défilent et rien ne change d’une représentation à l’autre, ou si peu…
Pourtant une menace pèse sur le cirque ; elle manque toutefois de noirceur pour inquiéter vraiment, et ses victimes se défendent et se rebellent sans trop d’énergie.
Voilà qui m’aurait bien moins gêné s’il ne s’agissait pas d’un roman adulte : le Cirque des rêves fait un ouvrage formidable pour les jeunes ados. Je m’attendais à autre chose. 
Et me prends à rêver quel cirque aurait mis Clive Barker dans cet univers certes élégant mais à la naïveté un peu convenue.

jeudi 11 octobre 2012

Un dernier verre avant la guerre - Denis Lehane



De quoi ça parle ?
Patrick Kenzie et Angie Genaro sont contractés pour retrouver une femme de ménage noire. Elle aurait disparu avec des documents confidentiels appartenant au gouverneur. Discrétion recommandée : ce sont les hommes de l’élu eux-mêmes qui commanditent le job. S’il imagine un plan pas cool, le couple de détectives privés ne se doute pas qu’il met les pieds dans une affaire si dramatique qu’elle déclenchera une guerre des gangs. Et cette question : faut-il honorer ses contrats ou se conformer à sa vision de la morale et de la justice ?  

C'est comment ?
Si vous n’avez jamais lu Denis Lehane, vous le connaissez sûrement : le cinéma a adapté Mystic River (une réussite crépusculaire de Clint Eastwood), Gone Baby Gone (un polar ennuyeux de Ben Affleck) et Shutter Island (le gâchis de Scorsese). Avec ce Dernier verre, il signait la première aventure de l’atypique et hard-boiled duo de détectives. Deux amis d’enfance : Kenzie craque depuis toujours pour sa collègue et celle-ci est maquée avec un troisième poto, assez violent pour lui laisser des bleus sur le visage. Kenzie n’est pas exempt de casseroles : son défunt père fut aux yeux de tous un pompier héroïque et au regard de Patrick une brute qui le frappa jusqu’à sa majorité. Y a des pompiers pyromanes. Autant dire qu’on n’est pas là pour rigoler, même si notre couple n’est pas avare de mots d’esprits.
Comme toujours chez Lehane, les tragédies de l’enfance expliquent les tourments brûlants d’aujourd’hui. Cette fois, le passé remonte via d’anciennes photos que deux chefs de gang et des politiciens pervers veulent à tout prix récupérer. Le récit, pas follement réaliste – nos tourtereaux platoniques ont les gangs les plus extrêmes de Boston sur le dos mais ça ne leur vaut que quelques bleus et une nuit blanche – est l’occasion pour Lehane de dépeindre les effets d'une ségrégation raciale qui perdure sans dire son nom. Comment lutter contre les méfaits du communautarisme ? Contre ce feu qui couve sous les braises d’une histoire soi-disant apaisée et qui avance malgré tous les efforts de pompiers humanistes : le racisme ? Explique-t-il toutes les violences ? Et surtout, les excuse-t-il ? L’auteur ouvre le débat, offre des armes aux participants et les regarde d’entre-déchirer. À la fin, aucun consensus ne sera trouvé.
À cette enquête simpliste on pourra préférer celle, plus tortueuse et moins politisée, de Ténèbres, prenez-moi la main. Aucun de ces deux romans n’atteint cependant la maîtrise de Shutter Island – mais là, il faut dire qu’on vole en pleine stratosphère. 

Two door cinema club



Un parapluie multicolore pour affronter l'automne un grand sourire aux lèvres. Célébrons à grands bonds, les pieds joints et la tête haute cette pépite au parfum estival. Oh et puis merde, si vous préférez disjoints et les cheveux au vent, c'est encore mieux.

lundi 8 octobre 2012

Rango - Gore Verbinski



Un lézard tombé malencontreusement de la voiture de ses propriétaires se retrouve en plein désert. Livré à lui-même. Seul havre à proximité : une ville façon farwest habitée par des animaux tous plus miséreux les uns que les autres. Presque une ville fantôme : l’eau y manque cruellement et une bonne partie de la population a plié bagages. Celui qui n’est pas encore Rango va s’inventer une identité héroïque, prendre les choses en main et chercher à résoudre l’énigme de la disparition de l’eau.

Un ramassis de poncifs, avec un scénario construit comme tant d’autres : à la recherche de son identité/crédibilité, Rango a des fantasmes de scène, de comédie. Affabulateur, il bâtit sa réputation auprès d’une population naïve et désespérée sur un fragile édifice de mensonges et de quiproquos. Une nouvelle identité enthousiasmante qui s’effrite subitement quand le pot-aux-roses est découvert. Après une phase d’auto-dépréciation aussi intense que brève, notre protagoniste se révélera authentiquement héroïque grâce aux propos édifiants d’un mentor. Il sauvera in fine la petite ville de sa déréliction tout en la débarrassant de son bad guy. Le tout sur fond d’expropriation, de corruption et d’abus de pouvoir. 

L'animation ? De la balle. ILM réalise là son 1er film d'animation et on pouvait compter sur eux pour soigner l'image. Mais la direction artistique, en particulier celles des personnages, ne m'a pas plu. 

La question que je me pose c’est comment arrive-t-on à se lancer sur un projet aussi long  et fastidieux – un film d’animation – avec un synopsis aussi convenu *. Sortant du succès planétaires de Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski avait sans nul doute carte blanche pour réaliser ce film dont l’originalité semble ne tenir qu’aux propos pseudo philosophiques et pompeux de Rango, à une galerie de personnages tous plus pouilleux les uns que les autres et à quelques répliques scabreuses. Et si le film est truffé de références, elles ne suffisent pas à le rendre passionnant et encore moins singulier. Verbinski prépare un autre western, toujours avec Johnny Depp : The Lone ranger. Disney et Bruckheimer sont à la production d'un film au budget de 215 millions de $. Ce sera sans moi.

A noter : La musique très Morricone est signée Hans Zimmer... et par pas moins de six autres arrangeurs (et non des moindres pusique certains d'entre eux ont déjà composé des BO entières sous leur seul nom) et presque autant d'orchestrateurs. Rendons grâce à Zimmer de citer, ses collaborateurs, une pratique qu'il a été le premier à adopter. 

* Verbinski donne une réponse ici. Comme on pouvait s'en douter il y est question de spectacle familial, de budgets, de marges de profit et des attentes d'un public qui voudrait du neuf sans pouvoir dire quoi. 

vendredi 5 octobre 2012

Millenium tome 2 - Stieg Larsson



De quoi ça parle ?
Des meurtres, probablement liés à une enquête sur le commerce du sexe en Suède, mettent en route la machine médiatico-politico-judiciaire. Principale suspecte : Lisbeth Salander, l'héroïne asociale,  violente et supérieurement intelligente du tome 1. Problème, la jeune femme est introuvable. Même son ami et journaliste d'investion Blomkvist n'arrive pas à la contacter. Prouver son innocence reviendra à fouiner à la fois dans le passé trouble de la Suède et dans les mœurs pas toujours très cools de certains de ses citoyens les mieux nantis. 


C'est comment ?
Vous apprécierez ce roman si :
1/ vous n’avez rien contre les super héroïnes dans un thriller réaliste,
2/ ça ne vous dérange pas que le 1er meurtre prenne place bien loin des premières pages,
3/l’avalanche de détails triviaux comme le choix d’une pizza ou d’un meuble vous emballe,
4/vous trouvez cool que Stockholm soit une petite ville de province où tout le monde se croise juste quand il faut,
5/ vous aimez qu’un personnage, dont vous suivez le point de vue et les pensées pendant un bon moment, disparaît soudain parce que ça arrange bien l’auteur de retarder les infos que ledit perso vient de découvrir.

Ne vous y trompez pas pour autant : Millenium 2 est un roman formidable. Plus rythmé que le précédent, mu par une intrigue qui, certes, s’origine comme le tome 1 dans le passé mais se déroule au présent et dans une urgence très « thriller », il fait la part belle au suspense, à l’intelligence et à l’émotion.

Le journaliste d’investigation Blomkvist s’efface nettement au profit de Lisbeth Salander, héroïne aussi improbable qu’attachante, création puissante et couillue : il fallait au romancier une sacrée dose de confiance en son écriture pour insuffler une âme à un personnage flirtant avec l’autisme, tant la froideur, la retenue voire la violence ne sont guère propices à l’empathie. Mais Larsson a le talent de doser la glace et le feu pour composer une Lisbeth passionnante, à défaut d’être réaliste. Blomkvist n’a plus guère le temps de multiplier les conquêtes sexuelles : les vacances forcées mais pépères de sa 1ère aventure sont bien loin. Il perd même en consistance, au risque de devenir générique, laissant à d’autres protagonistes le soin de nous captiver. Petit tour de force de Larsson : ce sont les autres qui en parlent le mieux. Les points de vue de sa confère et maîtresse Erika Berger, de sa maîtresse et collègue Lisbeth Salander, de sa sœur ou des membres de son équipe de journalistes donnent une image fragmentée du bonhomme que le lecteur s’amusera à recomposer quand le récit lui en laissera le temps, c’est-à-dire pas souvent.

Cette fois les bad guys ont pris du muscle et plus question d’attendre la dernière partie du récit pour les voir en action : la menace, noire et tentaculaire, apparaît très vite, collant aux basques de tous les personnages. Le plus caricatural d’entre eux – un géant blond qui tue à mains nues et ne ressent aucune douleur – souffre d’hallucinations qui lui prêtent une étrangeté aussi romanesque que jouissive, aux franges du fantastique.
Les personnages secondaires ne sont pas en reste et Larsson invente une galerie de flics, d’agents de sécurité, de journalistes, de juristes intéressants à rencontrer. L’un de mes échanges préférés est d’ailleurs tout à fait accessoire : l’interrogatoire express d’une technicienne du son par un flic homophobe. Savoureux.

L’un des personnages essentiel dont le romancier tire le portrait est, bien entendu, Millenium : une revue « politique » dont aimerait qu’elle existe par chez nous (ou bien est-ce notre XXI ?). Nul doute qu’il s’agit plus ou moins d’Expo, le titre où bossait Larsson avant de disparaître. Certes, la revue est le point de départ du drame à venir et chacun de ses membres jouera un rôle dans le schéma général. Elle est aussi la raison de vivre de plusieurs personnages, si bien que le métier de journaliste, bien pratique pour l’auteur de polar au même titre que celui de flic puisque il fait de l’investigation le cœur même de son activité tout en lui accordant les outils nécessaires à ses recherches, se trouve ici éclairé d’une impérieuse volonté de justice sociale. Une quête qui conduit les uns et les autres à  dénouer morale et dilemmes personnels.

Sans doute plus encore que dans le tome 1, Larsson, par ailleurs essayiste chevronné et spécialiste des mouvements d’extrême droite, profite de l’intrigue pour instruire son procès à charge contre une société suédoise bien moins permissive et féministe que l’on aurait pu l’imaginer vu d’ici, à épingler l'impéritie des services sociaux, à dénoncer le cynisme d'état. Fait-il bon vivre là-haut ? Soudain, le lecteur n’en est plus si sûr – ou bien à fermer les yeux sur tout un tas de dérives désagréables. Un parti-pris déjà choisi dans les années 60 par Maj Sjöwall et Per Wahlöö, précurseurs du polar suédois.

On peut suivre ce roman sans avoir lu le premier : Larsson est assez malin pour glisser ici et là les informations nécessaires à la compréhension des enjeux et des relations entre les protagonistes. La plus éblouissante de ces techniques est le long épisode qui raconte une Lisbeth en vacances dans les Caraïbes. La péripétie a l’heur à la fois d’installer du rythme alors même que l’intrigue principale est loin d’avoir débutée, et d’introduire l’ensemble des facettes de Lisbeth Salander là où il avait fallu naguère tout un roman : son intelligence très supérieure, sa sociabilité particulière – elle parvient toujours à fédérer quelques bonnes âmes autour d’elle malgré un caractère intraitable et une forme avérée de solitude – sa moralité singulière que sert, si nécessaire, sa violence extrême.

Tant et si bien que l'on trouvera dans ce tome 2 tout ce qui fait d’un roman de genre une expérience totale : une intrigue principale passionnante, du rythme, des dialogues bien troussés, des fils épars toujours renoués, une héroïne inoubliable, des personnages secondaires crédibles, la description jamais appuyée des mécanismes des métiers d’investigation et, en creux, le portrait en clair-obscur d’une société moins « modèle » que l’on ne le répète de ce côté de la Baltique.