mercredi 31 juillet 2013

Betty - Arnaldur Indridason


« Quand j’ai rencontré Betty, j’ai su que ma vie allait basculer », regrette le personnage principal, juriste embauché par le mari de la belle éponyme.
Roman noir assez bref, Betty est écrit à la 1ère personne. Un thriller autour d’une femme fatale, vénéneuse comme il faut – pensez William Irish –  qui n’évite pas les répétitions : le choix de retenir les informations importantes a la fâcheuse conséquence de pousser l’auteur à dire et redire le malaise de son personnage principal, lors de son injuste incarcération. « Je ne sais pas quand tout ça a commencé. » « Cela a peut-être débuté quand… » Et rebelote le chapitre suivant. Bref, les policiers et autres psys chargés de questionner le suspect piétinent, et nous avec, un peu trop longtemps - cet étirement laisse penser qu'il y avait là sans doute plus matière à nouvelle qu’à un roman.
Car Indridason alterne les scènes d’interrogatoire et le proche passé qui a conduit à l’emprisonnement. Une histoire de séduction, puis d’amour qui orbite autour de ce soleil noir qu’est Betty, épouse d’un riche chef d’entreprise avec lequel elle semble entretenir une liaison perverse. Et comme les histoires d’amour finissent mal, en général… Le fric aura son mot à dire aussi, forcément, vous imaginez bien, avec l'une des plus grosses fortunes de l'île...
A mi-chemin du récit, l’auteur révèle un twist qui explique pourquoi je trouvais jusqu'à ce moment certaines phrases étrangement tournées – si je maîtrisais l’islandais, j’irais voir de quoi il retourne dans la VO. Si la surprise est totale, elle n’a toutefois guère d’intérêt pour l’intrigue elle-même et sa résolution, sinon à jouer avec nos a priori, nos préjugés, nous mettre le nez dedans en quelque sorte. Mais la "malhonnêteté" du procédé diminue quelque peu l'effet de cette petite leçon.
Là où l’Islandais excelle en revanche, c’est dans la description psychologique de ses protagonistes, leurs échanges, leurs rapports troubles et inégaux. Une belle concision stylistique au service de portraits emplis d'humanité - et de cruauté.
Au final, une lecture plaisante.



Traduit par Patrick Guelpa

mardi 16 juillet 2013

Monstres academy - Dan Scanlon



Bob Razowski et Jacques Sullivan sont de retour. Si Monstres et Cie narraient leurs aventures alors qu’ils étaient deux adultes à l’indéfectible amitié, ce film évoque leurs débuts, quelques années auparavant.
Comment ces deux-là, employés stars de l’entreprise Monster's inc se sont-ils rencontrés ? Bob était-il déjà une sorte de looser magnifique et à l’imparable logorrhée ? Sullivan se la pétait-il autant et ses performances défrayaient-elles la chronique de ce monde singulier où les petits humains sont à la fois source d’énergie et une menace toxique pour les monstres ? Et surtout, Bob et Sulli étaient-ils les meilleurs potes du monde ? Le film répondra à toutes ces questions, même si on s’en fiche un peu-beaucoup.
Car ce qui entraînait le récit dans le 1er métrage est ici à peu près absent : j’espérais une intrigue parallèle à la scolarité de nos chers monstres. Il n’y en aura pas. Zéro bad guy, point de menace sinon celle de se faire virer de cours - mais on sait déjà que nos deux étudiants seront des employés modèles quelques temps plus tard. 
Le discours sur l’amitié, le droit à la différence, la chance laissée aux outsiders, la nécessité du travail d’équipe, la force de la communauté… ça oui, vous n’y échapperez pas. On le sait, en Amérique, tout est possible et surtout les miracles, pourvu que l’on soit courageux et un peu dégourdi - aucun doute possible, la cité des monstres s’étend bien outre-Atlantique.
Visuellement, Pixar assure comme il se doit. Il faut dire que la boîte développe depuis les années 80 son propre logiciel de rendu photoréaliste et le propose à toute la concurrence : RenderMan. Lumière somptueuse, reflets complexes démentiels, transparences toujours plus maîtrisées : le film de 2001, l'un de mes préférés côté narration, paraît aujourd’hui bien daté. L’animation est bien sûr au top - manquerait plus qu’elle ne le soit pas. Là, c'est le soft maison Presto, mis en place sur le rasoir Rebelle qui est venu à la rescousse de l'équipe. Quant à la direction artistique, eh bien je ne suis pas fan de cette université qui, vue du ciel, ressemble à des pièces montées où circuleraient des théories de M&M's et de Smarties. Bof.
Depuis le formidable Là-Haut, j’attends toujours le Pixar qui m’emportera au-dessus de la masse des dessins animés numériques.
Si toutefois vous y allez, restez jusqu’à la fin. Je veux dire, tapez-vous tout le générique : comme bien souvent, une petite surprise récompensera votre patience. Hier, nous ne fûmes que deux à en profiter.

vendredi 12 juillet 2013

Les Chiens du purgatoire - Jérôme Fansten - sélection du Prix du Boulevard de l'imaginaire




Avec son roman policier Jérôme Fansten joue la carte de l’anti-enquête : il s’agit moins de savoir qui a commis le meurtre originel que d’en sauver le témoin, et donc le suspect, principal. Une tâche qui, le lecteur s’en rendra bien vite compte, s’avérera ardue. Une bonne part de la tension provient plutôt des rapports qu’entretient le héros avec le maître de sa double vie. Car Jopo est un ripoux, un vrai. Et son commanditaire un requin aussi dangereux qu’intouchable.
L’auteur, dont c’est le 2nd roman, prend un malin plaisir à décortiquer les motivations de son flic. Placés tout comme le Cercle dans une météo étouffante, ses protagonistes jouent le jeu délétère d’une certaine catégorie d’opportunistes. Celle de journalistes un peu fâchés avec la décence - l’un des personnages principaux est un chroniqueur judiciaire qui arrondit ses fins de mois grâce à la visite guidée de scènes de crime. Celle encore dont la misère sociale et le désarroi des pouvoirs publics face à la montée de la violence dans les “quartiers” pourrait bien faire la fortune.
Agrémentant son roman de coupures de presse, Fansten développe une thèse inquiétante qui n’engage sans doute que lui mais qui, sous couvert de fiction, a le mérite d’interpeller. Que se passera-t-il le jour où des milices privées - les sociétés de sécurité - remplaceront la police dans les endroits sensibles ? Ce marché juteux annoncé n’est-il pas déjà en train de changer la donne, de bouleverser des équilibres déjà précaires ?
Qu’on ne s’y trompe pas : Les Chiens du purgatoire est moins un réquisitoire à charge sous la forme d’une légère anticipation, que le portrait sensible d’une poignée d’hommes soumis à une pression de moins en moins supportable. Un portrait écrit avec une langue originale, à la fois crue et inventive et où, à de rares exceptions prêts, les coupables sont tous les victimes d’une société devenue folle.

jeudi 4 juillet 2013

Le Cercle - Bernard Minier - sélection du prix du Boulevard de l'imaginaire






Un flic érudit et traumatisé, un tueur hyper dangereux et double démoniaque du héros, un meurtre rituel, un innocent emprisonné, les petits secrets de la bourgeoisie de province, des politiciens pourris, une femme séquestrée, une intrigue au cordeau passée sous le prisme de multiples points de vue… Bernard Minier a réuni avec talent les ingrédients les plus classiques du police procedural contemporain. On ne lui en voudra pas de s’être même autorisé un décalque de Lizbeth Sander, la géniale invention de Stig Larsson, en la personne d’une fliquette lesbienne, motarde et assez douée en informatique pour fouiller le PC de son confrère afin de le protéger.
Minier ajoute à ce parcours balisé une noirceur sans rémission qui en fait tout l’intérêt. Car le monde, Minier le voit en noir. Peu d’espoir dans ses pages, peu de lumière sinon celle de la foudre qui s’abat continûment sur les paysages du sud ouest. Ce n’est pas un contrepoint, c’est une variation sur le thème de la violence, de la colère et d’une impossible innocence.
Le trouble naît peu à peu de cette touffeur aussi psychologique voire morale que météorologique. Et l’enquête, menée en une poignée de jours, rythmée par les fausses pistes, portée par des témoins aux allures de suspects, passionne moins que les trébuchements d’un héros dont on s’attend à tout moment à assister à la fin. Que ce soit d’anciennes amours ou les provocations d’un serial killer en liberté et à l’affection embarrassante, le passé ne cesse de flanquer des coups de pieds au cul du capitaine Servaz.
Pour notre plus grand bonheur.

Paru chez XO éditions

lundi 1 juillet 2013

Point Zéro - Antoine Tracqui - sélection du prix du Boulevard de l'imaginaire

Le premier prix du Boulevard de l'Imaginaire a été remis vendredi 28 juin à Paul Colize pour son excellent roman Un Long moment de silence (La Manufacture de livres). L'occasion de revenir sur la sélection d'ouvrages retenus, à travers quelques chroniques.




Comment résumer l’intrigue foisonnante d’une aventure dont un milliardaire, sa garde rapprochée, une équipe de secours en situation extrême, un vieux général russe, une créature monstrueuse, un jeune et génial autiste composent le casting principal ?
Antoine Traqui commence fort : avec ce 1er roman il entre avec panache dans l’univers du techno-thriller. Et de l’anticipation. Et du roman d’épouvante. Et de la fiction historique - Mussolini en guest-star. Des exemples audiovisuels ? Ce serait X-Files, croisant Les Aventuriers de l’Arche perdue, croisant les Thunderbirds. Une manière aussi de réinventer Jules Vernes - Un Vernes dont les Expandables auraient repris les rôles principaux. Côté roman, pensez aussi Dan Simmons, La Mère des tempêtes (John Barnes) ou Michael Crichton, ou Clive Cussler comme me le proposait un juré du prix du Boulevard de l’Imaginaire.
Erudit sans jamais ennuyer, portant, on l’aura compris, l’action et le fun au 1er plan, le roman fait preuve de bout en bout d’une maîtrise impressionnante malgré un rythme pour le moins frénétique et des pages très denses. Un Space Mountain littéraire, quoi, qui ne s'arrêterait qu'au bout de 800 pages. Revisitant quelques grands mystères du XXe siècle, Point Zéro tisse entre eux des fils improbables mais jouissifs et se permet le luxe de multiplier les twists, les rebondissements. On passe des mines d’Afrique du sud aux forêts de Russie, on file vers une base Antarctique sans négliger une étape gore en Sicile. Bref, une lecture indispensable sur la plage cet été, quelle que soit la météo - l'ombre d'une terrasse fera l'affaire. Ou votre lit. Dans tous les cas, je vous mets au défi de ne pas terminer le livre en un rien de temps.
C’est avec impatience que l’on attend la suite, car les missions internationales des Hard Rescues devraient être relatées dans deux tomes supplémentaires.