jeudi 26 juillet 2012

Suite corse - 4


— On se tutoie, Lucie, ok ? ça sera plus simple.
— D’accord, ça me va.
— Et détends-toi : tout va bien se passer.
— Oui, oui, je me détends.
— Bon, alors tes bras entourent tes jambes et tu mets le palonnier contre tes genoux. Voilà, comme ça. La clé c’est « bras tendus », ok ?
— Bras tendus.
— Right. Toujours les bras tendus. Le bateau va démarrer et ça sert à rien de forcer pour sortir de l’eau. Tu attends que ça pousse sous les skis. Tu monteras toute seule, quand ça moussera sous la coque du bateau.
Haley se met à l’eau à 9h00. Sa cliente n’a pas plus de vingt-cinq ans et elle est morte de trouille. La monitrice fera comme d’habitude. La rassurer, lui prendre le bras, parler, parler, expliquer alors que les skis giflent le sillage du hors-bord. La leçon durera quinze minutes.
On est en juillet et le manège se répétera jusque fin septembre, chaque jour de la semaine, avec des débutants de toutes nationalités. Pour le moment Haley a la foi. Dans un mois elle sera lasse et fin août elle rêvera de solitude. Il y a un fauteuil sur l’étroit ponton du club qui s’avance dans l’eau claire ; l’Australienne  s’y calera, casquette vissée sur la tête, la visière masquant ses yeux. Le signe qu’il ne faudra lui parler sous aucun prétexte. Sinon elle mordra.
Mais ces derniers temps elle fait mieux que montrer les dents. Elle ne sait pas ce qui lui arrive et elle n’en a parlé à personne.
Ça a commencé il y a deux semaines. Elle s’était engueulée avec Erwan, le vieux patron du club nautique, un Breton qui vit depuis si longtemps en Corse qu’il est devenu un insulaire à part entière. La dispute n’a rien réglé, elle n’a apporté que de la frustration, de l’aigreur et peut-être même une note d’humiliation. Quand elle rentre chez elle ce soir-là, elle préfère un détour par la plage avec dans l’idée de se souler au Tiki. L’Australienne est l’amie de tout le monde là-bas, voilà quatre saisons qu’elle travaille à St-Cyp, on l’adore et on lui paie des coups, même la boss du restaurant de plage, surtout elle : « tu me fais penser à ma fille ».
Erwan lui avait pris la tête. Elle s’était arrêtée à deux pas de la terrasse, voulait vider un peu de sa colère. Il y a eu comme une vibration dans son crâne, un frisson de la nuque. Une étincelle a jailli dans sa paume et tissé un fil de lumière entre ses doigts. Et un cercle de sable est monté autour d’elle. Le crépuscule a tout noyé, personne ne l’a vu. Si c’était arrivé après le Tiki, Halay aurait mis le phénomène sur le compte de son ivresse – une hallucination. Mais le sable s’était soulevé avant la moindre gorgée de mojito, brève arène volante de sa colère.
Ensuite seulement, elle a bu.
Il lui a fallu un peu de temps pour reproduire le phénomène, pas mal d’efforts. Si bien que pendant un moment, elle a cru avoir inventé tout l’épisode : cette couronne de sable qu’elle a fait tournoyer lentement puis de plus en plus vite. Puis elle a compris comment se déclenche son pouvoir : à chaque fois elle pense avec force à son père, un homme auquel elle doit son goût de la mer et d’une existence hors-normes, auquel elle doit tant. Bien sûr, il est resté en Australie. Il vend à prix d’or ses vastes toiles qui occupent les murs de riches mécènes, d’institutions privées comme des banques ou des cliniques de chirurgie esthétique. Quand Haley a voulu suivre un amant français en Europe, il a tenté de l’en dissuader. Comme il ne parvenait à rien – sa fille est aussi têtue que lui – il lui a offert l’une de ses œuvres et elle s’est débrouillée pour la revendre en France, ce qui l’a occupée un bon mois. Après quoi son amant a dilapidé le petit pactole aux Baléares avant de planter Haley brutalement. L’Australienne a suivi des compagnons de party en Corse, a trouvé ce job grâce à son sourire, son opiniâtreté et, évidemment, ses compétences de skieuse.
Elle n’a pas revu son père depuis un an et demi et il lui manque. Il lui manque plus encore que son pays – elle l’a toujours trouvé trop grand pour elle. Parfois elle pleure, des pleurs toujours moins discrets. Elle ne retournera pas en Australie pour autant : un aveu d’échec n’est pas envisageable. Haley n’a pas de projets d’avenir. La Corse est formidable et quand vient l’hiver, la jeune femme gagne Montpellier où elle squatte chez une jeune avocate fiscaliste.
Le hors-bord accélère, l’eau durcit sous les skis et bientôt, les deux femmes sortent de l’eau.
— Putain, putain, putain…, fait la cliente.
Tenant son palonnier d’une main, Haley lui serre le bras et l’aide à maintenir son équilibre.
— C’est bien, c’est super. Maintenant essaie de te redresser, ne casse pas ton dos comme ça, ok ?
Il faudrait lui expliquer de se cambrer, de répartir l’appui sur la pointe de ses pieds sans pour autant crisper les orteils ; ce sera peine perdue : Haley sait déjà que la cliente ne surmontera pas sa terreur et ne retentera pas l’expérience, accomplie cette unique fois pour impressionner ce garçon au prénom italien et qui occupe, avec Eléonore, la banquette du hors-bord.
À l’évidence, le type ne s’intéresse pas à la skieuse. Pourquoi tant de frustration, partout ? Son humeur est sombre et la saison débute à peine. Haley aimerait voir le paradis qui l’entoure mais elle ne lit que l’amertume d’une vie qui file devant elle, vite, si vite et à laquelle elle s’accroche sans jamais la rattraper. Elle se demande si son pouvoir lui sera d’un secours quelconque dans cette course vaine. 

dimanche 22 juillet 2012

Suite corse - 3




Boris regrette d’avoir emmené sa sœur avec  Bettina et lui. Olga lui rappelle combien sa vie fut pénible avant, quand il ne gagnait pas un sous et que l’avenir ressemblait à la Toungouska, après la chute de la météorite. Elle est tout l’opposé de Bettina, comme si on avait dû sacrifier l’une pour honorer l’autre. Bettina le rend fou. Elle est si mince et si hâlée, elle n’a presque pas de seins et ne sourit jamais. Ses yeux changent de couleur quand elle fait l’amour. Le soleil de Corse lui a rendu les tâches de rousseur qu’un hiver moscovite avait effacées.
Il l’a connue l’été précédent, sur le yacht d’un oligarque. Avec deux autres gardes, Boris assurait la sécurité des sorties en ville et, un soir à Monaco, Bettina était montée à bord pour faire des photos avec un ami du propriétaire. Elle semblait avoir autant d’amants que de paillettes dans le regard.
Ils avaient couché ensemble à demande du photographe : « Vous deux vous êtes faits l’un pour l’autre. » L’artiste avait shooté la scène et les images avaient disparu quelque part sur la Toile, sans doute sans grand succès car Boris avait eu du mal à maintenir son érection devant ce voyeur de Carlos.
Bettina, elle, n’a aucune pudeur. Elle se déshabille et s’allonge sans sourire, seuls ses yeux s’expriment et on ne peut résister à leur invite. L’histoire de la prostituée et du garde du corps a duré plus longtemps qu’une croisière, même si Bettina ne peut jouer les femmes fidèles bien longtemps. Boris a gagné assez d’argent pour offrir des vacances en France à elles deux. Il l’avait promis à sa sœur, célibataire depuis la mort de ses jumeaux et de leur père dans un attentat.
Boris voudrait quitter la terrasse du café, maintenant, mais Olga a toujours son carnet de mots croisés, elle aimerait terminer sa grille. C’est ridicule, les mots croisés. Comment peut-on se passionner pour une chose pareille ?
— Il me reste que trois mots. Vous m’aidez ?
Bettina hausse les épaules et boit une gorgée de Red Bull, Boris répond :
— Je suis nul, tu sais bien.
— Un mot en sept lettres : renoncement à ce qui vous importe.
Il voudrait la planter là et filer sur un hors-bord de location, faire l’amour en mer. En tant qu’aînée, Olga devrait les chaperonner mais Boris la materne presque malgré lui et elle lui fait honte avec ses rondeurs pâles, sa coupe de paysanne, ses vilaines robes et ses sandales mal taillées. Il lui a offert de plus belles chaussures, elle les remet toujours dans leur boîte après s’être plainte : « Elles me blessent. Et puis elles sont trop belles pour moi ». Ça, il ne peut pas prétendre le contraire. Sans un mot, Bettina écrase son paquet de cigarettes vide et se lève pour en acheter un autre ; ses jambes presque maigres s’élongent sous la minijupe, ses cheveux auburn glissent sur le caraco noir, flattent les reins. Elle marche avec aisance sur ses espadrilles à talons compensés. Les hommes la regardent, on ne peut pas faire autrement. Boris n’est pas jaloux, il est fier. Tout de même, il n’aimerait pas qu’on la drague devant lui, il le prendrait mal, il ferait une connerie : il est toujours armé, même quand il ne bosse pas, même en vacances. Et en vacances, il lui arrive de boire.
La Hongroise partira un jour, il le sait. Elle ne s’éloignera pas : elle s’évanouira après l’avoir blessé telle une rusalka et rien ne pourra la retenir, rien ne pourra la ramener. Il n’aura plus aucune nouvelle d’elle et il pourra prier, prier, prier, elle ne sera plus qu’un souvenir. Y penser lui tord le ventre. Il ne veut plus être seul, jamais. Il ne veut plus être sans Bettina.
Abandon, dit soudain Boris.
— Quoi ?
— En sept lettres : abandon.
Olga retourne sur sa grille, griffonne.
— Merde, c’est ça, Boris. Eh, tu n’es pas si nul !
— De la chance, réplique-t-il en regardant la poussière que les pas de Bettina a soulevée. De la chance, rien de plus.

vendredi 20 juillet 2012

Suite corse - 2


Marie a quarante-cinq ans depuis deux jours. Elle a beau peser dix kilos de moins que sa fille, chaque fois qu’elle la regarde elle se dit qu’elle aurait aimé lui ressembler au même âge. L’assurance avec laquelle elle porte les bijoux que son mari lui a offerts. Son enthousiasme pour ces vacances à St-Cyprien. Sa décontraction dans l’éducation de son bébé de vingt-et-un mois. Marie, elle, était toujours inquiète avec Sophia. C’est même là qu’elle a commencé à fumer.
La femme tâche de s’intéresser à son petit-fils ; il est beau, il est éveillé. Mais à sa courte honte, elle doit admettre qu’il l’ennuie. Elle ne l’aime pas vraiment. Il deviendra un homme semblable à tous les autres, semblable à ceux qu’elle a connus : obsédé par ses charmes, égoïste, inapte à l’amour et, au final, aussi veule que prétentieux.
Sophia lui parle de son mari : il vient d’appeler et il les rejoindra un peu plus tard que prévu. Sophia est déçue, bien sûr et Marie s’en doutait mais elle n’en dira rien. Le boulot d’Antoine est envahissant et prendre des vacances ne signifie pas grand-chose pour ce genre d’hommes : ils se contentent de se déplacer et, où qu’ils se trouvent, ils allument leur ordinateur pour travailler, le cellulaire à portée de main. Antoine couvre sa jeune épouse de cadeaux coûteux et n’a pas deux jours à lui consacrer. Marie sait qu’il a une maîtresse et sans doute plus d’une : ça se lit dans son regard. Marie a fréquenté tant d’hommes mariés… Sophia est trop naïve pour en avoir conscience et c’est tout aussi bien : « elle ne trouverait personne de mieux ».
Marie allume une cigarette avec le briquet de sa fille puis tourne la tête vers ce célibataire qui traîne tous les matins à la même table du café-boulangerie de Saint-Cyprien. Il a sûrement sept ou huit ans de moins qu’elle mais le corps de Marie, entretenu avec la ferveur que d’autres femmes mettent à soigner leur intérieur, plaît aux hommes. Il plaît à tous les hommes et c’est pour ça qu’elle sort en maillot de bain et paréo ouvert haut sur sa jambe.
Tandis que Sophia part régler le petit-déjeuner avec l’argent de poche de son époux, Marie se demande si elle jouera un peu avec cet inconnu. 

mercredi 18 juillet 2012

Suite corse - I

photo EW


Une mini-série de portraits rapportés de Corse. 1er épisode.


***

Eléonore, Lucie et Flavio ont accordé assez d’heures au soleil et il faut penser à la soirée. Ils se lèvent quand Farook s’approche, épuisé par une énième journée à traquer le client, dix chapeaux sur la tête, une centaine de bracelets aux poignets, des paréos tie-and-dye  en travers du corps, un panneau de bois plus chargé que l’étal d’un brocanteur à bout de bras. Eléonore prend la parole la première.
— Eh ! salut Farook, comment tu vas depuis l’été dernier ?
— Je vais bien. Tu veux un chapeau ? C’est dix euros le chapeau.
— Dix ? Arrête, c’est hyper trop cher !
— Huit. C’est une affaire, huit. Il te faut un chapeau pour le soir, tu as pas un chapeau comme ça.
Farook n’y croit pas, sa voix est lasse et il discute parce qu’il y a trop peu de monde à lui parler, la plupart des gens se détournent de lui comme s’il portait le choléra où qu’il allait demander asile. Il n’y a que ces jeunes à l’assurance insolente,le genre à n'avoir pas eu d’autres soucis cette saison qu’une panne de leur opérateur de téléphonie, qu’un retard dans la livraison de leur cabriolet.
— Farook, tu ne feras pas d’affaire avec moi. On se connaît depuis trop longtemps
— Toi tu fais des affaires avec Farook. Je te fais le meilleur prix de la plage.
Flavio bombe le torse ; il voudrait coucher avec Eléonore, il a attendu tout le printemps et il ne pense qu’à ça depuis son arrivée à Porto-Vecchio, il y a cinq jours. Ça pourrait bien être ce soir mais la fille lui échappe sans cesse, et quand elle est suffisamment loin, elle revient vers lui avec un regard brillant de promesses qu’elle éteindra bientôt.
— C’est combien tes lunettes ? demande-t-il.
— Dix euros. Tout, c’est dix euros. Je fais que des bons prix. Les meilleurs de toute la plage.
— Mais y a que toi sur toute la baie, dit Eléonore !
— Attends, t’essaie pas un peu de nous arnaquer, là ? renchérit Flavio.
— Des lunettes comme celles de Farook, dit le Mauritanien, t’en trouveras pas ailleurs. Vas-y, essaie les lunettes. Tu veux les vertes ? Tu veux les blanches ?
Il lève son bras ligneux, tend la monture Polnareff avec effort ; dissimulé derrière ses propres montures il regarde un peu ailleurs, un peu plus loin.
— Farook, dit Lucie, ça fait combien de temps que tu bosses ici ? Combien d’années ?
— Ça fait longtemps, ça fait longtemps…
— T’es vraiment un mec trop cool, dit Eléonore. T’es le Black le plus cool que je connaisse.
— T’en connais beaucoup d’autres ? tacle Lucie.
— Et t’as un look génial, poursuit son amie comme si elle n’avait rien entendu. Tu déchires ! Pour ressembler à quelque chose c'est pas une paire de lunettes qu’il faudrait à Flavio, c’est toute ta boutique .
— J’adore les Blacks, dit Flavio un peu vexé. Il tente de faire l’imbécile avec la monture blanche sur le nez. Bon, ça vaut pas plus de deux euros, Farook. Tu paies ça, quoi, trente centimes ? C’est made in China…
— Cinq euros pour toi, cinq euros pour l’ami de mon amie.
— Ouais, chais pas. Je suis comment, Lucie ?
— Pas mal, pas mal du tout même.
— Arrête tes conneries, il a l’air trop naze. Bon, faut vraiment qu’on y aille, là.
— Ouais, putain c’est vrai, il est sept heures et demi.

Farook les regarde s’éloigner, il soupire. Son dos est douloureux, ses chevilles aussi. Il fait encore trop chaud. Moins qu’en Mauritanie, bien sûr, mais il ne se souvient plus trop là-bas. Il se souvient juste qu’on n’y porte pas autant de chapeaux. 




jeudi 12 juillet 2012

Inaltérable

Parfois l’orage est si violent que les conduits d’évacuation débordent et dégorgent. C’est probablement avec cette eau parfumée que la pâte de ce fromage corse est lavée. Tout juste sorti du frigo, il dégage un fumet qui ne doit pas être tout à fait inconnu des égoutiers de Lutèce. Laissez-le s’accoutumer à la température ambiante, disons 28°C. Une tranche au petit-déjeuner sur une tartine de pain grillé. Puis vous vous brossez les dents, mordez le tuba. Buvez la tasse, prenez un café, une crêpe au chocolat. Un peu plus tard, un bonbon mentholé. Le déjeuner de crudités. La baignade et les minces goulées de Méditerranée entre deux mouvements de crawl. Vient l’apéro de muscat corse, la saucisse figatelli, la tapenade. Le dîner méridional arrosé. Et le brossage de dents. Vous vous couchez enfin, gentiment éreinté. 
Croyez-le ou non, le chèvre corse est toujours là, inaltérable en fond de bouche. 




Identitaire.






mardi 10 juillet 2012

Matin lent

Des voitures fardées de poussière, des jets-skis plantés, nez en l’air, dans l’herbe jaune, des filles cuivrées et fatiguées comme des playmates après un shooting de nuit, de vieux Corses méditant en silence l’exécution d’un ancien militant en plein centre-ville, des bouteilles d’oxygène qui tintent contre l’alu d’un chariot, des familles ensommeillées  et déjà ivres de soleil : Saint-Cyprien s’éveille et la boulangerie-café accueille ses premiers clients, à deux pas de la grève. 

vendredi 6 juillet 2012

Le Domaine de la Pointe





C’est le genre d’endroits où une brindille d’un mètre soixante-quinze vous accueille en mini-robe trapèze et escarpins Todds, avec un sourire large comme la baie. Les clients ? On les a choisis parmi le casting d’une série tv ; ils posent dans les profondes banquettes disséminées sur le gazon impeccable comme si des caméras filmaient le scénario de leurs vacances. Une Italienne se mire dans les baies vitrées tout au long du trajet qui la conduit au petit-déjeuner où l’attendent déjà son petit tyran de beau-fils et la nounou d’Indochine ; perchée sur des semelles compensées, elle espère être assez belle pour séduire, en sus de son mari, tous les mâles du pont de teck. Les adolescentes d'un touriste monumental traînent leur moue boudeuse sur les allées de bois. Des femmes se jalousent leur bronzage, leur sac à main. Il est possible que certains enfants sont heureux mais on n'en saura rien. 
Il y a les figurants : lunettes blanches et cheveux gominés en arrière, le polo au col relevé serrant le biceps comme preuve de leur irréprochable hygiène, le V des tongs barrant le pied bronzé. Ceux-là louent jet-skis et hélico, proposent visite des anses et sorties sunset avec champagne. Tôt le matin, une jolie photographe arpente, pieds nus et fébrile, les pelouses de l’hôtel. Plus tard, elle shoote une cliente de la thalasso dénudée jusqu’aux bas des reins. 
On a versé du sable pour dessiner une plage de poche privée ; en tee-shirt rose et bermuda blanc, Albane et Edouard n’ont pas vingt ans et filent entre la grève et le bar de la piscine pour agréer les touristes. Edouard est timide et maladroit, il pourrait bien renverser ce plateau chargé d'un double express, d'un mojito et d'un jus de tomate cerises. Albane est plus décontractée et sa queue de cheval bat ses fines omoplates ; on dirait qu'elle s'amuse.
En fait, le personnel a toujours le sourire et semble plus heureux que la clientèle, mi arrogante, mi blasée. Omniprésente et vraie maîtresse des lieux, la mer s’en fiche et c’est tant mieux.