mardi 15 janvier 2013

Wanted - Timur Bekmambetov

Photo : dr

De quoi ça parle ?
Un jeune comptable, prisonnier de sa routine dans un open space de New York, apprend soudain être le fils de l'un des tueurs les plus efficaces ayant jamais existé. L'homme, qui n'a jamais élevé son minot, vient d'être assassiné par un sombre ennemi. L'heure est venue pour le jeune Wesley d'intégrer la Confrérie des assassins et retrouver avec leur aide le meurtrier de son daddy inconnu. En somme, affronter son destin. Youhou, ça va saigner.

C'est comment ?
Film d'action plutôt sanglant d'un réalisateur kazakh, maniant l'humour et une violence très graphique, Wanted (2008) est adapté d'un comics. Adaptation plutôt libre : si les prémices sont les mêmes, le film s'éloigne assez vite de l'univers de la bédé. Oubliés les super-héros - enfin, super-villains plutôt -  aux pouvoir surnaturels, exit les univers parallèles, abandonné l'esprit tordu. Ici, l'assassinat est toujours justifié là où la subversion faisait office de wasabi intellectuel. La verve irrévérencieuse du comic écrit par Mark Millar  et dessiné par JL Jones est réduite au vocabulaire grossier, à l'enchaînement de courses poursuites et d'un apprentissage très viril, et à un final en forme de twist sympathique. Pour un peu, il ne reste des deux auteurs que leur nom, placé en clin d'oeil sur l'espace de travail mitoyen du héros, à la fin du métrage. 

James McAvoy est plutôt convaincant, Angelina Jolie fait dans le monolithique, Morgan Freeman en impose toujours mais sans plus et on regrette que Terence Stamp ne joue que les guest-star, le temps de deux scènes trop brèves. 

Récit d'une initiation réglée en six semaines et histoire d'une douloureuse filiation Wanted est un divertissement faussement décalé. Au moins on s'y amuse, pour peu qu'on aime les fusillades à-la-Matrix et les acrobaties automobiles. 

Minceur lowcost

" Jusqu'à 8 kg en moins dans cet email "
Je ne sais pas ce qui me vaut la chance de cette proposition, mais j'avoue ne pas me reconnaître tout à fait dans la blonde "chubby" (avant) qui vient d'apparaître dans ma messagerie et dont la silhouette athlétique (après) est censée me motiver.
Morphorégime low cost et sans effort ? J'ai l'impression qu'on vient de m'offrir une somptueuse fille de l'Est à l'essai - une semaine avant de me coller la facture sous le nez, un flingue pointé sur la rotule droite.

dimanche 13 janvier 2013

Jack Reacher : "Un visiteur pour Ophélie" – Lee Child




De quoi ça parle ?
Jack Reacher a la mauvaise idée de régler leur compte à deux racketteurs venus chercher leur dû dans un nouveau restaurant de Manhattan : le FBI était dans le coin et la violence de ce quidam, en fait un ancien de la police militaire, n’est pas vraiment de leur goût. L'agence met le géant aussi taiseux qu’habile de ses poings, aux arrêts. Et l’accuse d’être un tueur en série : il correspondrait en bien des points au profil d'un l’assassin qui a déjà éliminé deux femmes, anciennes militaires elles aussi. Pour sauver sa peau, notre héros devra mener l’enquête auprès d’une équipe réduite du Bureau et lui faire bénéficier de ses accointances dans l’armée.


C’est comment ?
J’ai commencé la série Reacher au 4e tome, hasard d’une trouvaille chez un bouquiniste. Qui est cet auteur très british qui a fait fortune chez l'Oncle Sam avec des histoires tout ce qu'il y a de plus américaines ? L’histoire est répétée partout : Jim Grant aka Lee Child était un producteur émérite à la tv anglaise lorsque la chaîne a décidé de s’en débarrasser. Pas vraiment du genre à se laisser abattre, Grant, alors âgé de 40 ans, s’est emparé d’un stylo et d’une rame de papier. Son ambition ? Devenir romancier, seul boulot qui lui offrait l'indépendance après une fin de carrière éprouvante, sous le joug de managers incompétents. 
L’inspiration a dû être bonne puisque son 1er essai a rapidement trouvé un agent et l’ouvrage a conquis un large lectorat. Well done, mate. Et bravo pour le pied-de-nez au destin. Reacher lui ressemble-t-il ? Physiquement c’est bien possible. Et l’un comme l’autre ont un paquet de ressources à leur disposition pour contrer le mauvais sort.
Child a très vite choisi d’employer un héros récurrent, ce qui n’était guère la tendance de l’époque, autrement dit la fin des 90’s. Pas plus qu’on avait retrouvé le goût du lone ranger, du justicier sur la route. Qu’importe : Child, qui avait tout sauf envie de faire comme tout le monde, l’a imposé au travers d’intrigues viriles. 
Son vigililente, un genre de mâle que les années soixante dix avaient encensé -  "Dirty Harry" ou Charles Bronson - puis que le politiquement correct des décennies suivantes a effacé, va donc s’engager dans toute sorte d’aventures rugueuses, avec un étonnant sang-froid, une efficacité hors-normes, une intelligence peu commune et un sens avéré de la répartie – eh, c’est un héros, guys. Côté femmes, bah, il n’est pas à plaindre non plus, même si on le voit dans cet opus freiner des deux pieds dès qu’il s'agit de s’engager ou résister à des avances pas franchement désintéressées. En bref : ses exploits martiaux et ses aptitudes McGyver font rêver les lecteurs, sa fausse fragilité et sa courtoisie jamais feinte font craquer les lectrices. Vous savez, le coup de la brute intelligente et taciturne au grand cœur.
Un surhomme, je vous dis. 
L’intrigue ? Menée à x mille à l’heure, elle n’est pas inintéressante, sans être follement originale. Et elle est très bien menée - et encore plus si l'on croit Child qui affirme ne pas écrire d'après un plan détaillé mais plutôt au gré de la plume, sans gros travail de réécriture à la fin.  On n'est pas obligé de le croire non, plus, hein. 
Réaliste, l'intrigue ? N’en demandez pas trop tout de même. Faut dire que Reacher est assez fort pour entraîner les fédéraux sur une fausse piste, juste parce qu’il a besoin de réfléchir un peu à l’enquête principale. Fausse piste qui, loin de mener nulle part, permet à l’armée de mettre un terme à un trafic de flingues. Tant qu’à faire… 
Je n’ai pas lu dans les interviews de Child de références à Elmore Leonard. Je ne peux m’empêcher de rapprocher le genre de mâles que l’un et l’autre mettent en scène : übermensch moins machos que séducteurs, plus féministes que phallocrates. Concision des descriptions et du catalogue psychologique, brièveté des dialogues : voilà qui pourrait encore les unir.
Maintenant, c’est sûr, mieux vaut ne pas les chatouiller, les héros. D’ailleurs Reacher n’a aucun souci avec la violence ni avec les règlements de contentieux hors du, hum, champ légal. L’ironie – et l’intelligence de l’auteur – veut que notre justicier soit maqué avec une avocate. D’accord, le couple risque de ne pas avoir le temps de se compter les cheveux blancs : la donzelle fait passer sa carrière au 1er plan, expatriation en Europe comprise, notre bellâtre préfère la poussière de la route au confort d'une grande villa qui lui était échue au début du roman.
Voilà du thriller dont la documentation n’envahit jamais le récit, dont le rythme soutenu et la langue simple lui vaut d’être le compagnon idéal du voyageur au long-cours.

PS : Jack Reacher vient d'être adapté au cinéma, avec Tom Cruise dans le rôle titre. Difficile de l'imaginer en colosse issu de la police militaire, mais bon. Comment se fait-il que les romans ultra efficaces et cinématographiques de Child aient attendu si longtemps avant de rejoindre le grand écran, quand on sait les producteurs gourmands de plats pré-digérés ? En 2003, six romans étaient pourtant déjà optionnés par New Line.  

vendredi 11 janvier 2013

Scoop - Woody Allen




De quoi ça parle ?
Sur une scène londonienne, le vieil illusionniste Splendini escamote une spectatrice dans une boîte prévue à cet effet. Mais aussi inopiné que motivé, un fantôme apparaît dans ladite boîte pour confier à la jeune femme un lourd secret : le tueur en série dit l’Homme au tarot qui sévit actuellement à Londres, serait en fait un fringant héritier au-dessus de tout soupçon. Splendini et Sondra Pransky, qui se pique d'être journaliste d’investigation, se lancent dans l’enquête.

C'est comment ?
Il y a longtemps que Woody Allen n'est plus que l’ombre de lui-même. Cet opus de 2006 ne déroge pas à cette triste règle qui fait de chaque nouvelle comédie une déception supplémentaire, à la limite de l’embarras. Surtout en ce qui concerne le jeu du comédien et de ses bons mots comme ânonnés à un signal donné hors-champ. Scarlett Johansson, qui rempile avec Allen après Match Point, ne brille guère plus en jeune américaine écervelée, fondue de dentition. Allen aurait écrit le rôle spécifiquement pour elle, après l’avoir vue travailler sur leur précédent film commun : il avait alors décelé son potentiel comique. A-t-il été le seul à le voir ? On peut se poser la question.
Hugh Jackman est quant à lui impeccable mais son personnage de tueur improvisé est écrit avec trop de paresse pour convaincre. L’intrigue elle-même est bâclée ; on objectera que Allen n’emploie le thriller que pour jouer avec ses codes et les tourner  en dérision-mais-pas-tout-à-fait. Mais alors le vieux réalisateur s’y attelle sans passion, évitant soigneusement la tension d’une comédie dramatique, dont son Rêve de Cassandre était un intéressant modèle, pour ne conserver que les relations père-fille, inventés par les protagonistes pour les besoins de leur enquête. Et que dire de la mise en scène ou de la photo ? Pas grand-chose. Le film a coûté 4 millions de $, hors frais de pub et de copies, en a rapporté plus de 50. Rentable, quoi. Pourquoi donc s’emmerder à faire mieux ?
Cette même année, Jackman et Johansson se retrouvaient dans un autre « film de magicien ». Le Prestige. Inutile de vous préciser lequel des deux me laissera un souvenir immarcescible. 

jeudi 3 janvier 2013

La Porte des limbes - nouvelle édition


Illustration d'Aurélien Police

Paru en 1997 en poche chez Mnémos, qui ne publiait d'ailleurs aucun grand format, La Porte des limbes était à la fois un exercice de style, mon 1er bouquin en librairie, une variation autour d'un univers de jeu de rôle dont je n'étais pas le créateur et le début d'une longue aventure professionnelle et amicale avec Stéphane Marsan. 

Rôliste prolixe, Tristan Lhomme avait développé les Selenim, ces vampires d'émotions, créatures à la fois fascinantes et dangereuses et issues d'autres êtres tout aussi magiques, les Nephilim. Il s'agissait de nourrir ces univers, d'aller au-delà des livrets et autres manuels, déjà très complets et publiés par la jeune maison d'édition, de faire vivre en roman ces  inventions au background très riche. 

A l'exception d'une brève incursion du côté de Donjons et dragons et de Cthuluh plus de dix ans auparavant, je n'étais guère rôliste pour ma part. Mais le fantastique était ma patrie de prédilection. A mon tour je m'emparai des Selenims pour raconter une histoire entre gothique et épouvante et la situai dans le Paris de la fin du XIXe siècle. 

Pourquoi cette époque ? Parce que je me passionnais alors pour les peintres symbolistes et toute cette ménagerie d'artistes plus ou moins talentueux, férus de spiritisme en un temps ou les machines étaient en passe de repousser les rêves et leurs mystères toujours plus loin dans l'imaginaire des hommes. La technologie s'imposait. Les guerres qui agitaient le continent étaient une répétition de l'orage de fer qui s'abattrait bientôt sur le monde entier. Mais pour ces femmes et ces hommes, la menace palpitait alors ailleurs, passionnante, parfois macabre, promettant à la fois le pouvoir et la connaissance d'un monde occulte dont ils espéraient devenir les petits maîtres et les porte-étendards. Si la psychiatrie connaissait ses premiers succès, la folie brillait comme un feu où ils venaient réchauffer leur spleen. Tout un peuple d'adolescents attardés, en quelque sorte. 
Une manne pour le rêveur et l'écrivain que j'étais - l'ado sur le retour. 

Son tirage épuisé, La Porte des limbes n'était plus disponible.
L'été dernier Nathalie Weil m'a proposé de rééditer un roman dont j'ai eu l'heureuse et tardive surprise de rencontrer quelques fans - merci Internet et les festivals spécialisés ! Avec l'aide précieuse de Stéphanie Chabert j'ai repris le texte, clarifié quelques points, simplifié quelques pages, développé certaines scènes. L'éditeur a joint un lexique en fin de livre pour expliquer sans détour ce que sont ces Selenims. 
Je suis heureux que ce roman parte de nouveau à la rencontre des lecteurs, d'autant qu'il montre une facette de mes goûts que mes bouquins ultérieurs ont plus ou moins dissimulés, même si je constate aujourd'hui que plusieurs préoccupations se retrouvent d'une histoire à l'autre - la mort et le deuil, les mondes parallèles, les complots. 

Cette année devrait paraître une seconde aventure des mêmes personnages, écrite à l'époque et demeurée  inédite à ce jour. En attendant de la découvrir, je vous propose de franchir sans tarder le seuil de la Porte des limbes...

mercredi 2 janvier 2013

L’homme qui marche – Jirô Taniguchi




Dans cette bédé avare de texte, Taniguchi livre une ode aux bonheurs simples : ceux de la promenade sans but, de l’ébahissement permanent, de l’enthousiasme comme philosophie sociale, des petites libertés prises avec les règlements… 
Son homme qui marche pourrait être n’importe lequel d’entre nous, pourvu qu’il habite en ville et soit doté d’un peu de temps devant lui – chômeur ? Une manière séduisante d’être au monde dont le trait un peu raide de Taniguchi et les décors périurbains peinent parfois à rendre compte. 

Le Journal de mon père - Jirô Taniguchi




De quoi ça parle ?
De retour dans sa ville natale pour les obsèques de son père, Yoichi se remémore son enfance. Dans ce récit intimiste, Taniguchi nous restitue toute la profondeur des sentiments et des émotions d’un homme qui plonge dans ses souvenirs (description de l'éditeur).

C’est comment ?
Né en 1947, l’auteur japonais publie cette fiction en 1995. Le déclic ? Une visite dans sa ville natale de Tottori - elle sert de décor ici. Pour autant, le récit qui alterne les souvenirs et les heures passés à boire du saké lors de la veillée funèbre ne sont pas autobiographiques.  Il s’agit plutôt de « penser aux sentiments que [lui] avait alors inspirés ce retour après des années d’absence et de vie à Tokyo ».

Au-delà d’une part de nostalgie, ce « Journal » décrit tout d’abord le délitement d’un couple, conséquence indirecte du grand incendie qui a frappé cette ville de province en 1952. La maison de famille y sera détruite et le père de Yoichi, patron d'un salon de coiffure et d’origine modeste,  s’abrutira de travail pour rembourser la dette qu’il contracte aussitôt auprès de son beau-père, un nanti. L’éloignement sera bien vite consommé entre le mari, orgueilleux et taiseux, et la femme, fragile et frivole. Au point que cette dernière abandonnera ses deux enfants pour vivre mieux, ailleurs. La blessure de l’abandon ne peut être cicatrisée pour Yoichi. Le responsable de ce désastre affectif ? Son père, bien sûr. N’a-t-il pas concentré toute son énergie dans son boulot, jour après jour, dimanches compris ? Délaissant épouse et enfants au nom d’un code de l’honneur qui confine à l’égoïsme?

Dès qu’il en aura l’occasion, Yoichi quittera Tottori pour ne plus jamais revenir, ou presque. Il deviendra photographe, un métier qui fixe le temps et les souvenirs, ceux-là mêmes que le petit garçon hypersensible réinventera pourtant à son bénéfice, avec cette sorte de mauvaise foi que dicte l’inconscient lorsqu’il s’agit de sauver son âme, voire sa santé mentale – toujours l’abandon de la mère, la retenue du père.
Mais Yoichi n’a-t-il pas accablé son père de tous les maux, pour mieux préserver la mémoire de sa mère et justifier son inexcusable départ ?

Le « Journal de mon père » est tout autant le récit d’une rédemption, en l’occurrence celle du défunt père dans le cœur de son fils blessé. Mieux vaut tard que jamais. Car les témoins de la veillée sont aussi ceux qui, adultes à l’âge où l’orphelin n’était qu’un enfant, détiennent une part de vérité moins partiale, moins cruelle. Ainsi écoute-t-il, ente deux gobelets de saké, les commentaires de son oncle, un bon vivant qui s’est jusqu’au bout évertué de sauver les meubles de cette famille aux abois, médiateur bourru et sincère entre un homme trop pudique – le père – et une femme trop exigeante – la mère. Des commentaires qui, l’alcool aidant et à deux pas du cercueil, prendront la saveur amère de reproches. 


L’histoire d’une enfance douloureuse, où brillent cependant quelques éclats de bonheur, sera ainsi réécrite le temps d’une veillée funèbre. Une vérité moins manichéenne et qui offrira à l’enfant prodigue une réconciliation avec sa propre mémoire et entamera la dissolution de ce lent poison qu’est le ressentiment.


On a découvert Taniguchi en France avec Quartier Lointain, postérieur à cet opus et nouvelle variation, teintée de surnaturel cette fois, de la perte, voire de l’abandon. Je la préfère à ce Journal où la culpabilité filiale, dénoncée véhémentement par l’oncle, m’a semblé injuste. Il y manque aussi une légèreté, une fantaisie que le retour dans le passé bien réel de Quartier Lointain a permise, œuvre majeure que j’aurais sans doute l’occasion de commenter ici-même dans quelques temps. D’ailleurs, Taniguchi doutait de lui à l’époque, comme il s’en ouvre dans la postface : 
« [..] je ne suis pas sûr que le moyen d’expression que j’ai choisi, la BD, soit en mesure de rendre parfaitement le drame intérieur extrêmement abstrait qui fait l’essence de ce récit »