mercredi 2 janvier 2013

Le Journal de mon père - Jirô Taniguchi




De quoi ça parle ?
De retour dans sa ville natale pour les obsèques de son père, Yoichi se remémore son enfance. Dans ce récit intimiste, Taniguchi nous restitue toute la profondeur des sentiments et des émotions d’un homme qui plonge dans ses souvenirs (description de l'éditeur).

C’est comment ?
Né en 1947, l’auteur japonais publie cette fiction en 1995. Le déclic ? Une visite dans sa ville natale de Tottori - elle sert de décor ici. Pour autant, le récit qui alterne les souvenirs et les heures passés à boire du saké lors de la veillée funèbre ne sont pas autobiographiques.  Il s’agit plutôt de « penser aux sentiments que [lui] avait alors inspirés ce retour après des années d’absence et de vie à Tokyo ».

Au-delà d’une part de nostalgie, ce « Journal » décrit tout d’abord le délitement d’un couple, conséquence indirecte du grand incendie qui a frappé cette ville de province en 1952. La maison de famille y sera détruite et le père de Yoichi, patron d'un salon de coiffure et d’origine modeste,  s’abrutira de travail pour rembourser la dette qu’il contracte aussitôt auprès de son beau-père, un nanti. L’éloignement sera bien vite consommé entre le mari, orgueilleux et taiseux, et la femme, fragile et frivole. Au point que cette dernière abandonnera ses deux enfants pour vivre mieux, ailleurs. La blessure de l’abandon ne peut être cicatrisée pour Yoichi. Le responsable de ce désastre affectif ? Son père, bien sûr. N’a-t-il pas concentré toute son énergie dans son boulot, jour après jour, dimanches compris ? Délaissant épouse et enfants au nom d’un code de l’honneur qui confine à l’égoïsme?

Dès qu’il en aura l’occasion, Yoichi quittera Tottori pour ne plus jamais revenir, ou presque. Il deviendra photographe, un métier qui fixe le temps et les souvenirs, ceux-là mêmes que le petit garçon hypersensible réinventera pourtant à son bénéfice, avec cette sorte de mauvaise foi que dicte l’inconscient lorsqu’il s’agit de sauver son âme, voire sa santé mentale – toujours l’abandon de la mère, la retenue du père.
Mais Yoichi n’a-t-il pas accablé son père de tous les maux, pour mieux préserver la mémoire de sa mère et justifier son inexcusable départ ?

Le « Journal de mon père » est tout autant le récit d’une rédemption, en l’occurrence celle du défunt père dans le cœur de son fils blessé. Mieux vaut tard que jamais. Car les témoins de la veillée sont aussi ceux qui, adultes à l’âge où l’orphelin n’était qu’un enfant, détiennent une part de vérité moins partiale, moins cruelle. Ainsi écoute-t-il, ente deux gobelets de saké, les commentaires de son oncle, un bon vivant qui s’est jusqu’au bout évertué de sauver les meubles de cette famille aux abois, médiateur bourru et sincère entre un homme trop pudique – le père – et une femme trop exigeante – la mère. Des commentaires qui, l’alcool aidant et à deux pas du cercueil, prendront la saveur amère de reproches. 


L’histoire d’une enfance douloureuse, où brillent cependant quelques éclats de bonheur, sera ainsi réécrite le temps d’une veillée funèbre. Une vérité moins manichéenne et qui offrira à l’enfant prodigue une réconciliation avec sa propre mémoire et entamera la dissolution de ce lent poison qu’est le ressentiment.


On a découvert Taniguchi en France avec Quartier Lointain, postérieur à cet opus et nouvelle variation, teintée de surnaturel cette fois, de la perte, voire de l’abandon. Je la préfère à ce Journal où la culpabilité filiale, dénoncée véhémentement par l’oncle, m’a semblé injuste. Il y manque aussi une légèreté, une fantaisie que le retour dans le passé bien réel de Quartier Lointain a permise, œuvre majeure que j’aurais sans doute l’occasion de commenter ici-même dans quelques temps. D’ailleurs, Taniguchi doutait de lui à l’époque, comme il s’en ouvre dans la postface : 
« [..] je ne suis pas sûr que le moyen d’expression que j’ai choisi, la BD, soit en mesure de rendre parfaitement le drame intérieur extrêmement abstrait qui fait l’essence de ce récit »

0 commentaires: