dimanche 13 janvier 2013

Jack Reacher : "Un visiteur pour Ophélie" – Lee Child




De quoi ça parle ?
Jack Reacher a la mauvaise idée de régler leur compte à deux racketteurs venus chercher leur dû dans un nouveau restaurant de Manhattan : le FBI était dans le coin et la violence de ce quidam, en fait un ancien de la police militaire, n’est pas vraiment de leur goût. L'agence met le géant aussi taiseux qu’habile de ses poings, aux arrêts. Et l’accuse d’être un tueur en série : il correspondrait en bien des points au profil d'un l’assassin qui a déjà éliminé deux femmes, anciennes militaires elles aussi. Pour sauver sa peau, notre héros devra mener l’enquête auprès d’une équipe réduite du Bureau et lui faire bénéficier de ses accointances dans l’armée.


C’est comment ?
J’ai commencé la série Reacher au 4e tome, hasard d’une trouvaille chez un bouquiniste. Qui est cet auteur très british qui a fait fortune chez l'Oncle Sam avec des histoires tout ce qu'il y a de plus américaines ? L’histoire est répétée partout : Jim Grant aka Lee Child était un producteur émérite à la tv anglaise lorsque la chaîne a décidé de s’en débarrasser. Pas vraiment du genre à se laisser abattre, Grant, alors âgé de 40 ans, s’est emparé d’un stylo et d’une rame de papier. Son ambition ? Devenir romancier, seul boulot qui lui offrait l'indépendance après une fin de carrière éprouvante, sous le joug de managers incompétents. 
L’inspiration a dû être bonne puisque son 1er essai a rapidement trouvé un agent et l’ouvrage a conquis un large lectorat. Well done, mate. Et bravo pour le pied-de-nez au destin. Reacher lui ressemble-t-il ? Physiquement c’est bien possible. Et l’un comme l’autre ont un paquet de ressources à leur disposition pour contrer le mauvais sort.
Child a très vite choisi d’employer un héros récurrent, ce qui n’était guère la tendance de l’époque, autrement dit la fin des 90’s. Pas plus qu’on avait retrouvé le goût du lone ranger, du justicier sur la route. Qu’importe : Child, qui avait tout sauf envie de faire comme tout le monde, l’a imposé au travers d’intrigues viriles. 
Son vigililente, un genre de mâle que les années soixante dix avaient encensé -  "Dirty Harry" ou Charles Bronson - puis que le politiquement correct des décennies suivantes a effacé, va donc s’engager dans toute sorte d’aventures rugueuses, avec un étonnant sang-froid, une efficacité hors-normes, une intelligence peu commune et un sens avéré de la répartie – eh, c’est un héros, guys. Côté femmes, bah, il n’est pas à plaindre non plus, même si on le voit dans cet opus freiner des deux pieds dès qu’il s'agit de s’engager ou résister à des avances pas franchement désintéressées. En bref : ses exploits martiaux et ses aptitudes McGyver font rêver les lecteurs, sa fausse fragilité et sa courtoisie jamais feinte font craquer les lectrices. Vous savez, le coup de la brute intelligente et taciturne au grand cœur.
Un surhomme, je vous dis. 
L’intrigue ? Menée à x mille à l’heure, elle n’est pas inintéressante, sans être follement originale. Et elle est très bien menée - et encore plus si l'on croit Child qui affirme ne pas écrire d'après un plan détaillé mais plutôt au gré de la plume, sans gros travail de réécriture à la fin.  On n'est pas obligé de le croire non, plus, hein. 
Réaliste, l'intrigue ? N’en demandez pas trop tout de même. Faut dire que Reacher est assez fort pour entraîner les fédéraux sur une fausse piste, juste parce qu’il a besoin de réfléchir un peu à l’enquête principale. Fausse piste qui, loin de mener nulle part, permet à l’armée de mettre un terme à un trafic de flingues. Tant qu’à faire… 
Je n’ai pas lu dans les interviews de Child de références à Elmore Leonard. Je ne peux m’empêcher de rapprocher le genre de mâles que l’un et l’autre mettent en scène : übermensch moins machos que séducteurs, plus féministes que phallocrates. Concision des descriptions et du catalogue psychologique, brièveté des dialogues : voilà qui pourrait encore les unir.
Maintenant, c’est sûr, mieux vaut ne pas les chatouiller, les héros. D’ailleurs Reacher n’a aucun souci avec la violence ni avec les règlements de contentieux hors du, hum, champ légal. L’ironie – et l’intelligence de l’auteur – veut que notre justicier soit maqué avec une avocate. D’accord, le couple risque de ne pas avoir le temps de se compter les cheveux blancs : la donzelle fait passer sa carrière au 1er plan, expatriation en Europe comprise, notre bellâtre préfère la poussière de la route au confort d'une grande villa qui lui était échue au début du roman.
Voilà du thriller dont la documentation n’envahit jamais le récit, dont le rythme soutenu et la langue simple lui vaut d’être le compagnon idéal du voyageur au long-cours.

PS : Jack Reacher vient d'être adapté au cinéma, avec Tom Cruise dans le rôle titre. Difficile de l'imaginer en colosse issu de la police militaire, mais bon. Comment se fait-il que les romans ultra efficaces et cinématographiques de Child aient attendu si longtemps avant de rejoindre le grand écran, quand on sait les producteurs gourmands de plats pré-digérés ? En 2003, six romans étaient pourtant déjà optionnés par New Line.  

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