dimanche 26 février 2012

Replay


Replay, de Ken Grimwood - Point Seuil

Comme si souvent avec les thrillers, il s’avère bien difficile d’évoquer le récit sans dévoiler les moments clés de l’intrigue. Alors comment donner envie et partager le plaisir de lecture avec ses proches sans tout gâcher ? 

Sachez déjà que dans Replay, le narrateur, un journaliste radio un peu aigri, meurt d’une crise cardiaque à 43 ans. Ça lui prend à son bureau, alors que sa femme est à l’autre bout du film. Mais la mort n’est pas une solution viable, dans Replay. Notre héro se réveille donc dans sa chambre d’étudiant en 1963, à l’âge de 18 ans. Dès qu’il a compris et accepté cette situation parfaitement insolite, il décide d’en tirer avantage, quitte à remettre aux calendes grecques la recherche de la vérité. Ne connaît-il pas l’avenir comme personne autour de lui ? Il parie donc sur quelques courses de chevaux dont il a conservé le souvenir, des grands prix de légendes à l’issu inattendue, du moins pour le parieur moyen de l’époque. D’une course à l’autre, puis d’un match de base-ball à l’autre, Jeff engrange un petit pactole, avec la complicité de son co-turne. Lequel, bien sûr, ne cesse de s’étonner des performances hors-normes de cet ami bien mystérieux, pour ne pas dire inquiétant. 

Mais les paris sportifs, c’est sympa pour l’adrénaline, un peu moins pour s’assurer un avenir sous le soleil. D’autant plus que dans ce domaine, ses souvenirs s’assèchent vite. Jeff dès lors investira dans les sociétés industrielles qu’il saura promises à un avenir radieux - Apple, ça vous dit quelque chose ? 
Voilà pour l’aspect pratique de son aventure. L’auteur la mène avec maestria et un certain sens du détail qui crédibilise l’invraisemblable. Mais le plus saisissant n’est pas là : si notre aventurier malgré lui n’a rien oublié de son passé, il n’a pas non plus tiré un trait sur la femme qu’il a aimée avant de mourir, certes provisoirement, d’un infarctus. La (re)conquérir va s’avérer plus compliqué que d’emporter la mise sur une course hippique. D’ailleurs, cela est-il seulement souhaitable ? Avec la chance étrange qui lui est offerte Jeff réinvente sa vie affective et conjugale : pourquoi réitérer les mêmes erreurs ? 
Tout irait bien dans le meilleur des mondes revécus si seulement la mort ne survenait une fois de plus à 43 ans, à la même heure exactement, et ne renvoyait notre bonhomme plus de vingt ans plus tôt, à l’état d’étudiant. 
Retour à la case départ, donc. 
Sauf que cette fois, Jeff n’a pas le sentiment d’avoir vécu à côté de ses pompes. Bien au contraire : sa seconde vie - son premier replay - a été si riche, si féconde, si bien menée et si enthousiasmante qu’en perdre soudainement les fruits est une déchirure d’une cruauté telle que Jeff peinera à s’en relever. 
Car tout est effacé, à part dans sa mémoire. La femme qu’il a aimé ? Elle ne le connaît plus. L’enfant qu’il a eu ? Il n’existe pas. Les entreprises florissantes qu’il a montées ? Du vent. Tout est à refaire, à reconstituer. Mais comment s’y prendre lorsque l’on est plus le même homme, lorsque l’expérience ne permet plus de lire son existence avec un œil neuf, lorsque s’impose le pressentiment que tout cela va, une fois encore, être voué à disparaître ? Car combien de replay vont-ils se jouer de lui, moquer ses efforts ? Une infinité ? Ou bien sera-ce le dernier ? 

Sachez encore que l’auteur évite tous les pièges inhérents à son histoire : alors que le gimmick menaçait de créer la répétition de mêmes scènes un peu décalées, Grimwood prend à chaque replay des chemins radicalement différents. Une thématique geek donne même une épaisseur nouvelle au récit – et accessoirement a dressé les cheveux sur la nuque de votre serviteur. Quant à l’intrigue affective – à laquelle la thématique suscitée est intimement liée – elle prend bientôt une dimension qui laisse le lecteur sur la brèche. Le suspense naît peu à peu de la menace qui pèse sur le héros : comment tout reconstruire, d’un replay à l’autre et surtout, avec qui ? 
Bien que la tentation soit grande, tant le récit abonde d’idées géniales et émouvantes, je n’en dirai pas plus. 

Publié en 1987, à une époque où foisonnent au cinéma les voyages temporels et les récits switch of age * bien garnis de paradoxes comiques, ce roman d’une grande force émotionnelle choisit de suivre la piste mélancolique et passionnelle. Avec brio. Le roman fut un best-seller immédiat et, après des années à naviguer d’une production à l’autre, une adaptation sera bientôt mis en scène par Zemeckis – oui, celui de Retour vers le futur.** 
Difficile d’imaginer que Guillaume Musso n’ait pas lu et aimé ce roman, tant le point de départ, l’orientation romance de l’intrigue et les interrogations « philosophiques » qu’induit le gimmick du retour en arrière se rapprochent de son travail***. Mais là où le Français privilégie les coïncidences foudroyantes, les twists et multiplie les rebondissements de l’intrigue, Grimwood installe un personnage aussi crédible qu’attachant, choisit un réalisme qui valorise l’intensité des trouvailles scénaristiques, opte pour un style sobre qui n’exclut pas les moments de grâce. 
Seul bémol : les ellipses, de plus en plus nombreuses et amples à mesure que le roman file vers la fin, ont peiné à me rendre l’intensité des toutes dernières vies du narrateur, à sentir, éprouver le long fil du temps. 

 Sachez enfin que Replay est, vous l’aurez compris, un véritable bijou. 

Alors qu’il s’attelait à l’écriture d’une suite, Grimwood est mort en 2003. D’une crise cardiaque, évidemment. 

 *Back to the Futur, Groundhog Day, Like Father like Son, Big, 18 Again, Vice Versa…
** On parle de Ben Affleck désormais.
*** Depuis la rédaction de cette note, j'ai appris que Guillaume Musso est un fervent admirateur de ce roman et son ardent prescripteur. Qu'il n'en fasse pas mystère, bien au contraire, est tout à son honneur.

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