vendredi 29 juin 2012

Kafka sur le rivage - Murakami


Kafka Tamura a 15 ans et il est en fugue. Bien sûr, il ne porte pas ce prénom, mais il lit beaucoup et a l’âme romantique et un peu rebelle, aussi a-t-il décidé de se réinventer. Ce serait par chez nous un emo, du moins s’il n’avait les goûts musicaux de son auteur – le Prince de 1984 et autres vieilleries mainstream*. Voilà notre garçon corbeau (kafka en tchèque, du moins selon Murakami) partant  à l’aventure, sans savoir où il atterrira. Il n’en veut pas au monde entier, juste à sa mère qui l’a abandonné avec sa fille sous le bras alors qu’il n’avait que 3 ans, et à son père qui lui a balancé cette prédiction : tu tueras ton père, baiseras ta mère et coucheras avec ta sœur. De quoi être énervé, on en conviendra.
Sa fuite le conduit très vite dans une bibliothèque du Shikoku. Une fondation privée tenue par une femme bien mystérieuse – mais que fait-elle de ses journées ? assistée d’un jeune homme qui n’est en fait que… Mais taisons-nous pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur avide de rebondissements. Autant dire que Tamura ne va pas tarder à s’éprendre de la quinqua, cherchant à percer l’énigme de cette femme qui n’en fiche pas lourd et que son assistant sera plus qu’un simple confident.

Pendant ce temps, un vieillard un peu simplet, doué de communication avec les chats, se trouve lui aussi au carrefour de son existence. Après avoir commis un peu malgré lui un meurtre, il file plein sud, direction… le Shikoku, mais oui. Ce qui ne l’empêchera pas de faire pleuvoir des sardines en route et de régler le compte d’un gang de motards vindicatifs.
La police se mêlera aux agissements de ces deux-là, mais de loin – on n’est pas dans un polar.

Une précision s’impose : les premiers chapitres distillent un rapport de l’armée US, celle qui occupait le Japon au sortir de la guerre. En effet, une après-midi de 1942, une institutrice en excursion avec sa classe est le témoin d’un phénomène inquiétant : alors qu’ils viennent d’atteindre une clairière au sommet d’une haute colline et que survole un B29, les élèves s’évanouissent les uns après les autres. Ils se réveilleront sans souvenir de l’événement, sans séquelle non plus et sans plus d’explications  – il n’y aura d’ailleurs jamais, ce n’est pas ce qui intéresse Murakami. Ils se réveilleront tous… sauf un. Celui-là passera quelques semaines dans le coma avant de surgir de l’inconscient sans aucune mémoire. Naguère élève aussi brillant que discret, l'amnésique est désormais un peu simple d’esprit. Vous avez deviné de qui il s’agit.

Difficile d’en dire plus. Déjà parce qu’on risquerait de déflorer l’intrigue, aussi ténue soit-elle. Ensuite parce que son récit devient trop fantasque pour se résumer en quelques lignes.

Une fois encore, Murakami fait parler la solitude parfois extrême des êtres, les liens impossibles qu’ils tissent entre eux bon gré mal gré, parfois à grande distance. Le tout dans un monde de références culturelles populaires mondiales, d’onirisme plus ou moins symbolique, de digressions littéraires pataudes et de romance tragique.
Murakami, c’est l’Asie des clichetons : harmonie avec une  nature grandiose et vivante, philosophie permanente et à deux sous, poids d’une société qui s’efforce de gommer l’individu, métaphores à base de lune et d’eau trouble, surnaturel poétique . Mais c’est aussi plus que cela, heureusement pour nous pauvre lecteur égaré parmi plus de 600 pages.

S’ils abondent, la plupart des phénomènes surnaturels ne seront jamais explicités. Parfois c’est tant mieux, souvent c’est too much. Les fans diront que ça constitue une voix et contribue à l’immersion dans cet univers littéraire singulier, moderne – familier, simple – par sa langue et ses références, lent voire tortueux dans son récit. Qu’on ne s’y trompe pas, au-delà de sa singularité, Murakami parle avant tout d’amours difficiles et romantiques, du droit à la différence dans une société qui nivelle, du prix de la solitude, le tout avec un fort goût de destin. Autant de thèmes éminemment populaires – Murakami est un immense best-seller – que l’auteur  a déjà maintes fois exploités.  Il a pourtant été plus léger : Les Amants du Spoutnik, La Ballade de l’impossible, Au Sud de la frontière, à l’ouest du soleil, ne m’avaient pas laissé une semblable impression. Toutefois, Murakami excelle à installer ses situations, à mêler le trivial et le fantastique (d’une manière très différente d’un Stephen King), à dépeindre ses mystères ; les pages du rapport militaire sont une réussite, une promesse aussi qui ne sera d’ailleurs pas tenue. Sans être constants – leurs niveaux de langage flottent un peu trop d’une page à l’autre  – ses personnages sont souvent touchants, à l’exception du trop mièvre Kafka dont les péripéties nous sont rapportées au présent et à la première personne.
Voilà un roman que j’aurais bien aminci de moitié, tant les situations se répètent, l'histoire patine. 
Quand je vois les points communs entre 1Q84 et Kafka sur le rivage, je ne suis pas certain d’aller vers les trois tomes du premier.


*De son propre aveu, il y a beaucoup de Murakami dans ce personnage.

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