samedi 8 mars 2014

American Bluff - David O. Russell


Attention, spoilers, un peu.





Sidney Prosser (Amy Adams) et Irving Rosenfeld (Christian Bale) se sont rencontrés lors d'une party et ont découvert leur passion commune pour Duke Ellington. En pleine vague disco, ce raffinement n'annonce rien de leur passé ni de leurs facultés. Car l'un et l'autre sont des survivants. En plus de détenir une chaîne de pressing, Irving deale de faux tableaux de maître et prête l'argent qu'il n'a pas à des emprunteurs aux abois.
C'est un arnaqueur.

Sidney qui a cherché à New York un antidote à son destin malade rejoint l'homme et sera désormais une pièce maîtresse de ses mises en scène : aussi glamour que Rosenfeld est banal, il lui suffira de se transformer en aristocrate britannique pour convaincre les éventuels gogos indécis de plonger.
Les affaires du duo tournent à plein régime jusqu'au jour où un agent du FBI, Richie DiMaso (Brad Cooper), les piège. Fin de partie et début des emmerdes. Le flic leur propose un marché : l'immunité contre quatre flagrants délits de corruption qu'ils auront contribué à révéler. Car le jeune officier est ambitieux et prêt à pousser n'importe quel élu à la faute. Leur arrestation seront les marches de sa promotion.
Faut-il fuir ou accepter le deal ? Au grand dam d'Adams, l'existence d'un fils adoptif et d'une épouse capricieuse et imprévisible dans la vie de Bale élimine bien vite tout velléité de fuite. Il faudra donc collaborer.

Première cible, Carmine Polito (Jeremy Renner) le jeune maire d'une cité du New Jersey aux portes de NY, aimé de tous. Mais ce père de famille qui ne songe qu'à reconstruire la ville-casino Atlantic City refuse la mallette bourrée de billets qu'on lui propose. Il a beau côtoyer la Mafia, il ne mange pas de pain-là – pas encore. Dommage, car des caméras cachées montées par le FBI dans la suite d'un palace s'apprêtait à enregistrer le forfait. En cause, la maladresse du flic – il a investi pour l'occasion une nouvelle identité : il est l'intermédiaire d'un cheik que les investissements sur le territoire américain intéresseraient.
Il faudra toute la ruse et le bagou d'Irving pour convaincre l'élu d'accepter in fine la proposition malhonnête.
C'est ici que débute l'histoire de ce trio rassemblé sous la double contrainte de la survie et de l'ambition. Une histoire qui tient de la fable morale et de la romance.


Le scénario est inspiré de faits réels, comme l'annonce brièvement un carton au début du métrage. Il s'agit en fait de l'Abscam, un plan monté par le FBI pour coincer des représentants du Congrès. Leur pièce maîtresse était justement cet arnaqueur confondu et dont l'acquittement était conditionné à l'aide qu'il apporterait au Bureau pour confondre des politiciens. Eric Warren Singer en avait écrit une 1ère mouture. Une fois attaché au projet, David O. Russell s'est ingénié à lui conférer les atours de la comédie dramatique, où les personnages évoluent sans cesse entre la caricature et la profondeur.
Il s'est entouré d'un casting de 1er ordre, un quatuor nominé aux Oscars, la 2e fois qu'un tel événement se produit depuis 1981 – la 1ère était avec le métrage précédent de Russell. On a beaucoup parlé des kilos pris par Christian Bale pour incarner Irving Rosenfeld, un transformisme dont il est désormais familier – on se souvient de sa silhouette famélique dans The Mechanist. Quant à Brad Cooper, les journalistes n'ont eu de cesse de le questionner sur ses bouclettes, comme si elles tenaient lieu de génie de l'acting


Mais si l'un et l'autre sont parfaits dans leur rôle, ce sont les femmes qui l'emportent ici haut la main.



A l'instar de Cooper, Jennifer Lawrence jouait déjà dans le précédent métrage de Russell, Happiness therapy. Elle y interprétait le rôle principal auprès de Cooper. Cette fois, elle est une jeune mère instable, dépressive et manipulatrice. Son mariage, fondé sur la volonté de Bale de protéger à tout prix son fils adoptif, est un échec. Bale attendait autre chose de cette relation ? Lawrence hausse les épaules et la résume à ces quelques mots : « on s'engueule puis on baise, c'est comme ça qu'on a toujours fonctionné ». Mais surtout, Lawrence est aussi folle qu'inconséquente et colérique. Mettre le feu à sa maison n'est pas un souci. Très vite elle incarne à elle seule l'inquiétude croissante qui entoure les opérations du trio : parce qu'elle a volé une conversation téléphonique entre Bale et Cooper, Lawrence menace constamment son époux de mettre à bas sa couverture auprès de la Mafia. L''Honorable Société est en effet très vite intéressée par les investissements du « cheik » : Atlantic city et les casinos, c'est son terrain de jeux bien sûr. La détestation de Lawrence pour Adams, qu'elle comprend être la maîtresse de son mari, envenime les relations avec un homme dont elle ne veut pas se séparer, malgré tout ce qui les éloigne.
Bien qu'un peu jeune pour le rôle, l'actrice convainc en bombe – sexuelle – à retardement.


Et puis il y a Amy Adams. Je l'avais déjà remarquée dans The Master : elle y jouait l'épouse dévouée et plutôt discrète du gourou. Ce qui n'empêchait pas son personnage très bcbg d'éclairs d'affirmation, d'autorité et de manipulation dans ses trop rares interventions à l'écran. En quelque sorte la femme de l'ombre sans laquelle la réussite de son mari serait un rêve un peu vain.
Ici elle interprète de nouveau la complice indispensable, celle qui permet aux arnaques, mais aussi à la vie affective de Bale de franchir un cap décisif. À moins que cela ne soit l'inverse. Car qui mène la danse ? Difficile à dire jusqu'au moment où le système bascule et entraîne le couple entre les mains du FBI et le rapproche dangereusement de la Mafia. C'est alors Sydney qui prend les choses en main. Qu'elle soit glamour en diable ou proie effrayée, voire les deux en même temps, elle secoue le spectateur, sans que ce dernier, manipulé tout autant que les hommes à l'écran, sache jamais quel jeu joue la jeune femme.
Est-elle amoureuse du federal ? Préfère-t-elle toujours son arnaqueur ? Ne songe-t-elle plutôt qu'à songer sa peau aux dépends de tous ?
La scène qui annonce la rédition des arnaqueurs à l'agence gouvernementale est animée par le calme noir, déterminé dans son effroi, d'Adams. Sans maquillage, illuminée d'un bleu sans concession, épuisée par trois jours de garde à vue elle bouleverse lorsqu'elle annonce que désormais, elle ira jusqu'au bout. Au bout de l'opération imposée par l'agent du FBIl, au bout de leur système d'arnaque, au bout de tout, même si cela signifie séduire le flic qui les a piégés. Une décision en mémoire de son amour perdu – elle n'aura de cesse de reprocher à Bale son mariage.
Le film peut alors glisser dans le drame.

L'east coast en 78, les petites arnaques, la bande son semée de pistes 70's, le ton proche de la comédie : le projet aurait fait le bonheur du Soderberg de The Limey, Loin des Yeux, voire Ocean's Eleven. On imagine aussi quel film Scorcese aurait composé sur cette trame : les mouvements d'appareil virtuoses, la violence froide et outrée, les effets de montage ; ou même Tarentino – Jackie Brown n'est pas très loin après tout de ce schéma d'arnaque menée par une femme aux abois sous les auspices du FBI.
Russell fourbit même un DeNiro en tueur à gage, dont l'apparition suffit à convaincre le spectateur de l'extrême péril dans lequel s'est fourré le couple (ce n'est pas DeNiro que l'on voit, ni même son personnage mais des décennies de filmographie, en un sous-texte aussi tacite qu'éloquent).

Mais ces réalisateurs seraient-ils parvenus à ce niveau d'intensité avec les personnages, à ce degré d'empathie ? Auraient-ils maîtrisé cet aller-retour incessant entre drame et comédie ? La réalisation de Russell, sans esbroufe, soutenue par une photographie dont le grain et la palette rappellent les émulsions 70's, est très souvent au plus près des visages et contribue à faire d'American Bluff une totale réussite.

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