jeudi 2 juillet 2009

Manuels d'écriture : la glace et le feu

Torres del Paine.Región de Magallanes, Chile. Photo de Michel Gutierrez

Longtemps je suis immergé dans les manuels et autres méthodes d’écriture.
Pourquoi ?
Pour progresser bien sûr. Un côté « s’ils y sont arrivés et qu’ils prennent la peine d’en causer, alors je vais forcément y trouver de quoi m’intéresser ».
Ou encore « et si un roman réussi était la tranquille application d’un astucieux mode d'emploi plutôt que le résultat d'un long et pénible travail ? »
Ouh, le vilain mot est lâché!
Car on imagine sans peine que derrière cette curiosité insatiable se trouvait une forme de... paresse - voilà pour le second gros mot du post.
Nous sommes tous à la recherche d’un déclic, d’un truc. D'une recette. Surtout lorsqu'on débute et que la rédaction d'un roman ressemble à l'assaut final de l'Everest, par temps de chien.
De fait, ces méthodes je les ai lues, consultées, relues, bouquinées, compulsées, épuisées…
Avec le recul dû à mon grand âge, je comprends désormais que ces livres et articles m’en disent plus sur l’auteur et sa façon de regarder son métier, de s’observer en train de travailler, que sur la meilleure manière pour les apprentis romanciers d’écrire de la fiction.
Si je vous parle de ça, c’est que je reviens tout juste d’un post de l'écrivain d'urban fantasy Van der Meer sur le sujet.

Qu’ai-je appris en lisant Ecriture, de Stephen King ? Qu’il avance sans plan, sans intrigue très définie. La chute, le twist le rebondissement final ? Il n’en a pas. Mieux : il vous conseille de ne pas en avoir. Oups, voilà le genre de recommandation que j'éviterais de transmettre. J’y ai surtout appris comment il en est venu à boire exagérément, le King. À quel point son épouse compte dans sa vie. Et combien violent fut son accident de voiture, en 1999. Oui, j’y ai trouvé une centaine de passages geek oriented. Sur King lui-même. L'écriture? Hormis l’évidence « les proverbes, c’est mal, évitez d’en saupoudrer vos paragraphes », c'est pas très fourni. Inutile d'y chercher le secret du maître. Vous espériez quoi ? King est un génie, passez votre chemin.

Qu’ai-je tiré de l’Art de la fiction, de David Lodge ? Son goût pour le roman du XXe siècle, le rappel de quelques figures de style, aussi.

Les conseils de Dan Simmons m’ont montré à quel point ce type est bavard, sentencieux, cultivé, un tantinet agressif. Et fondu d’ Emma Bovary. Un prof de lettres un peu tendu, quoi.

Orson Scott Gard place le personnage au centre du roman. Ecoutez ça: impossible de toucher le plus grand nombre sans élaborer des personnages profonds, dénués de tout clichés. Bien entendu, les tables de librairies et les tourniquets des aéroports nous prouvent le contraire : le poncif, en littérature comme en pop, est recherché avec acharnement par le lecteur lambda. Il se trouve simplement que Gard ne travaille pas avec ces héros-là – et son livre est passionnant par ailleurs.

Les recettes de fiction cuisinées à l’Américaine, j’en ai lu quelques unes. A force d'ingrédients, d'ustensiles et de température de cuisson j'ai foiré mon soufflé avec le célèbrissime Story . J'espère que son auteur n’imagine pas sérieusement que Bergman mitonait ses scénarios comme il le décrit. À fuir…

Dans le très abordable et captivant Writer’s Journey de Christopher Vogler, j’ai enfin saisi pourquoi un paquet de films hollywoodiens semblent tirés du même moule. L’auteur, script doctor, y reprend les théories de Campbell sur la structure narrative des grands mythes. Oui, le Campbell dont Lucas a fini par avouer avec pas mal de retard s’être inspiré pour écrire le premier Star Wars. Une structure narrative que la littérature de fantasy a d’ailleurs beaucoup utilisée. Le voilà en français.

Bernard Werber est un passeur, un vrai. Notre nocher made in France : rien ne saurait l’empêcher de transmettre son ineffable optimisme : être publié ? oui, c’est possible ! À condition de volonté, d’acharnement, de travail et d'une bonne dose de chance - ne comptez pas trop sur le talent. Ses conseils sont sympas, surtout si vous venez de tremper le pied dans l’eau glaciale de la fiction – si l’ablution se prolonge un peu, vous comprendrez vite qu’il s’agit de lave et qu’elle va vous consumer et vous consumer encore : le fleuve n’a pas de fin. Pour aller plus loin, franchir le Rubicon et pénétrer dans Rome (VIe arrondissement de Paris) en conquérant mieux vaut assister à ses conférences. Vous aurez la chance de vivre en direct une joyeuse explosion d’enthousiasme partagé, celui-là même qui berce cet anxieux de nature. C'est déjà beaucoup, non ?

Je pourrais continuer ainsi longtemps mais j'en vois qui somnolent au premier rang. Et puis quand vous aurez lu tout ça, il sera temps de revenir sur la question.
Tout ça pour dire aussi qu’un ami m’a demandé si j’acceptais de rencontrer un jeune auteur qui... blablabla... des conseils que... blablabla...
Et je ne vois pas ce que je pourrai lui apprendre de plus que :
1/ Il te faudra lire beaucoup, jeune padawan
2/Il te faudra écrire encore plus
3/ l’édition se porte bien mal et mon éditeur a bouché sa boîte aux lettres : no manuscript allowed.

Si vraiment il insiste, je le renverrai vers ces quelques titres, avec une préférence peut-être pour le Vogel : même si l’application stricto sensu de sa méthode tend à formater les films, elle a l’avantage de remettre sur la piste le romancier perdu dans la forêt de son récit et de lui fournir la liste des abris disponibles.
[à suivre...]

7 commentaires:

RobbyMovies a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RobbyMovies a dit…

Ca me rappelle une très vieille interview de Stephen King lue à l'époque où je dévorais ses ouvrages (on doit frôler les 20 ans, gasp).
On lui posait évidemment la question des conseils et il répondait qu'il fallait lire beaucoup et écrire encore plus. Depuis il a donc réussi ensuite à écrire un "mode d'emploi" entier en partant de ces 2 principes que tu énonces toi-même. Tu vois ce qu'il te reste à faire ? :D

Erik a dit…

On dirait un peu un début d'autobiographie, son "manuel". Quelques moments et exemples d'écriture qui démontre bien plus son génie qu'ils ne nous donnent des pistes pour marcher dans ses pas.

Fabien Herisson a dit…

Bon, peut-être que la méthode pour y arriver, c'est travail, travail, travail et travail.
Parce que l'essentiel, est-ce d'être publié, ou d'avoir le fier sentiment d'être venu à bout d'un long travail d'écriture ?

Marco a dit…

Faut rester soi-même en s'efforçant de s'améliorer, en quelque sorte... ???

Erik Wietzel a dit…

@Fabien : oui, du travail (mais il peut être fun, ce travail. Disons que c'est rarement bon du 1er coup).
Etre venu à bout d'un long travail d'écriture, c'est la 1ère étape. La 2nde : trouver un éditeur et le convaincre. 3e étape : convaincre les lecteurs qu'il faut acheter le livre :-)

Erik Wietzel a dit…

@Marco : oui, c'est l'idée ! De toute façon, il n'est pas évident de ressembler à un autre auteur. Ca se fait, il y a des rois du pastiche. Mais quelle maîtrise !