jeudi 13 février 2014

Confessions d'un homme dangereux – George Clooney




Avant de tomber entre les mains de Georges Clooney, ces Confessions auront fait le tour de Hollywood. Fincher, Hanson, Mendes, Aronofski, De Palma, Singer... se sont succédés sur le projet, sans parler des innombrables options de 1er rôle.
Un feuilleton qui a couru de la fin des années 80 jusqu'en 2001.

Le livre dont il a été adapté est sorti en 1984 et Columbia l'a très rapidement acheté. Il faut dire que le sujet avait de quoi passionner : l'autobiographie de Chuck Barris, créateur de jeux télévisés aussi populaires que The Dating Game (Tournez manèges), Newlywed (les Mariés de l'A2), du Gong Show et de tout un tas d'autres tous plus vulgaires les uns que les autres mais souvent novateurs et dont il fut parfois aussi l'animateur (Gong Show). Une légende de la télé US, en somme.
A cette différence qu'on ne pouvait en faire un biopic au parcours balisé : jeunesse misérable, personnage volontaire, talentueux et méritant, succès au bout de la route, désillusions au sommet, abus de substances illicites, chute et, in fine, rédemption dans l'aura immaculée de l'American Dream.

Impossible.

Car Chuck Barris a dans son livre raconté être un agent de la CIA. Un authentique tueur à gages, option « indépendant », avec 33 contrats au compteur et autant de victimes abattues au Mexique ou dans l'Europe de la Guerre froide – il aurait accompagné en voyage les vainqueurs de ses propres émissions pour couvrir déplacements et forfaits. A-t-il raconté la vérité ou s'agit-il d'un tissu de mensonges, le produit d'un mythomane qui ne dédaignera jamais la possibilité de se mettre en valeur en racontant des histoires singulières ? Un jeu de plus, en quelque sorte, avec cette fois la crédulité de ses lecteurs.*
Pas de quoi inquiéter Hollywood, bien au contraire.

Pour sa première réalisation, Clooney commet ce qui est pour moi le film parfait. Le scénario de Charlie Kaufman (Being John Malkovitch, Eternal Sunshine on the spotless mind) réussit à mêler drame et comédie avec un équilibre qui évolue au fil du récit, d'un balancement à l'autre, jusqu'au malaise qui s'installe durablement dans le dernier tiers. Ses protagonistes illustrent tout aussi bien cette alternance de ton, dans leurs dialogues et leur jeu, probablement grâce à la direction d'acteurs menée par l'un d'entre eux, George himself. Kaufman pestera contre Clooney : pour la 1ère fois de sa toute jeune carrière un réalisateur ne l'a pas convié au tournage, voire même l'a écarté du projet une fois le boulot d'écriture achevé. Intéressant de noter que Barris lui-même a été très proche du projet, adoubant scénariste et réal, s'affirmant satisfait du résultat.

Le casting est aux petits-oignons, avec dans le rôle titre Sam Rockwell, bluffant de bout en bout dans l'alternance de ses humeurs, toujours sur le fil entre la folie et la maîtrise, le guignol et la tragédie ; sa prestation rend compte à chaque scène de ce que la lecture d'un tel témoignage peut inspirer de doute, de rire, d'inquiétude aussi, voire d'effroi. Le génie populaire et la ringardise, la séduction distanciée et la roublardise : Rockwell raconte tout cela avec une apparente facilité, incarnation formidable d'un scénario qui ne l'est pas moins. Clooney a réussi à imposer cet acteur qui n'avait alors pas encore crevé l'écran dans un 1er rôle ; une composition qui vaudra à Rockwell un Ours d'argent au festival de Berlin.

Drew Barrymore ne dépareille pas dans le rôle de la bonne copine évoluant en maîtresse amoureuse puis frustrée et blessée. Cette Penny solaire, loin d'imaginer ce qui se trame dans la vie de Chuck, prend soin de ne pas mettre son fou d'amant au pied du mur et des chantages affectifs, malgré une relation à la douloureuse incomplétude ; une subtilité dont Barrymore se tire très bien.

Julia Roberts alterne avec autant de réussite la fougue sensuelle et la morgue de l'agent-secrète blasée. Rutger Hauer parvient en deux courtes scènes à être aussi ridicule que touchant.

Malgré des effets de photographie parfois trop outrés – Clooney a rencontré le chef op Newton Thomas Sigel sur l'excellent Three Kings, lequel film jouait déjà sur la palette de couleurs choisie en fonction de la scène – et quelques gimmicks un peu datés – les interventions de personnages réels en apartés – la réalisation ne manque pas d'idées visuelles où pointe l'influence maniérée d'un Sorderberg. Clooney avait tourné sous sa direction, bien sûr, et ils étaient alors déjà associés dans Section Eight Productions, co-productrice par ailleurs du film.
De quoi rappeler si besoin était que le cinéma n'est pas le petit écran, quoiqu'en disent les apologues de l'âge d'or télévisuel en cours.*

Scénario, mise en scène, interprétation... les constantes ruptures de ton de ces Confessions, entre film d'espionnage et comédie, biopic et fantasie ne compromettent jamais la cohérence de l'ensemble grâce à la maîtrise de ces trois domaines.
Sans doute mon préféré des trois films de Clooney, du moins en attendant son Monument's men.

*De fait, personne n'a jamais pu vérifier, infirmer ou confirmer son récit délirant. Et même Clooney s'est refusé à lui poser la question, de peur que d'apprendre la vérité ne gâche son envie du projet.

**un épisode TV est tourné en une semaine, Confessions en plusieurs mois. Mais faut-il comparer un long-métrage à un unique épisode ou plutôt une saison ? Je sens que je vais ouvrir là un méchant débat.

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