Avant de tomber entre les mains
de Georges Clooney, ces Confessions auront fait le tour de Hollywood.
Fincher, Hanson, Mendes, Aronofski, De Palma, Singer... se sont
succédés sur le projet, sans parler des innombrables options de 1er
rôle.
Un feuilleton qui a couru de la
fin des années 80 jusqu'en 2001.
Le livre dont il a été adapté
est sorti en 1984 et Columbia l'a très rapidement acheté. Il faut
dire que le sujet avait de quoi passionner : l'autobiographie de
Chuck Barris, créateur de jeux télévisés aussi populaires que The
Dating Game (Tournez manèges), Newlywed (les Mariés de l'A2), du
Gong Show et de tout un tas d'autres tous plus vulgaires les uns que
les autres mais souvent novateurs et dont il fut parfois aussi
l'animateur (Gong Show). Une légende de la télé US, en somme.
A cette différence qu'on ne
pouvait en faire un biopic au parcours balisé : jeunesse
misérable, personnage volontaire, talentueux et méritant, succès
au bout de la route, désillusions au sommet, abus de substances
illicites, chute et, in fine, rédemption dans l'aura
immaculée de l'American Dream.
Impossible.
Car Chuck Barris a dans son
livre raconté être un agent de la CIA. Un authentique tueur à
gages, option « indépendant », avec 33 contrats au
compteur et autant de victimes abattues au Mexique ou dans l'Europe
de la Guerre froide – il aurait accompagné en voyage les
vainqueurs de ses propres émissions pour couvrir déplacements et
forfaits. A-t-il raconté la vérité ou s'agit-il d'un tissu de
mensonges, le produit d'un mythomane qui ne dédaignera jamais la
possibilité de se mettre en valeur en racontant des histoires
singulières ? Un jeu de plus, en quelque sorte, avec cette fois
la crédulité de ses lecteurs.*
Pas de quoi inquiéter
Hollywood, bien au contraire.
Pour sa première réalisation,
Clooney commet ce qui est pour moi le film parfait. Le scénario de
Charlie Kaufman (Being John Malkovitch, Eternal Sunshine on
the spotless mind) réussit à mêler drame et comédie avec un
équilibre qui évolue au fil du récit, d'un balancement à l'autre,
jusqu'au malaise qui s'installe durablement dans le dernier tiers.
Ses protagonistes illustrent tout aussi bien cette alternance de ton,
dans leurs dialogues et leur jeu, probablement grâce à la direction
d'acteurs menée par l'un d'entre eux, George himself. Kaufman
pestera contre Clooney : pour la 1ère fois de sa toute jeune
carrière un réalisateur ne l'a pas convié au tournage, voire même
l'a écarté du projet une fois le boulot d'écriture achevé.
Intéressant de noter que Barris lui-même a été très proche du
projet, adoubant scénariste et réal, s'affirmant satisfait du
résultat.
Le casting est aux
petits-oignons, avec dans le rôle titre Sam Rockwell, bluffant de
bout en bout dans l'alternance de ses humeurs, toujours sur le fil
entre la folie et la maîtrise, le guignol et la tragédie ; sa
prestation rend compte à chaque scène de ce que la lecture d'un tel
témoignage peut inspirer de doute, de rire, d'inquiétude aussi,
voire d'effroi. Le génie populaire et la ringardise, la séduction
distanciée et la roublardise : Rockwell raconte tout cela avec
une apparente facilité, incarnation formidable d'un scénario qui ne
l'est pas moins. Clooney a réussi à imposer cet acteur qui n'avait
alors pas encore crevé l'écran dans un 1er rôle ; une
composition qui vaudra à Rockwell un Ours d'argent au festival de
Berlin.
Drew Barrymore ne dépareille
pas dans le rôle de la bonne copine évoluant en maîtresse
amoureuse puis frustrée et blessée. Cette Penny solaire, loin
d'imaginer ce qui se trame dans la vie de Chuck, prend soin de ne pas
mettre son fou d'amant au pied du mur et des chantages affectifs,
malgré une relation à la douloureuse incomplétude ; une
subtilité dont Barrymore se tire très bien.
Julia Roberts alterne avec
autant de réussite la fougue sensuelle et la morgue de
l'agent-secrète blasée. Rutger Hauer parvient en deux courtes
scènes à être aussi ridicule que touchant.
Malgré des effets de
photographie parfois trop outrés – Clooney a rencontré le chef op
Newton Thomas Sigel sur l'excellent Three Kings, lequel film
jouait déjà sur la palette de couleurs choisie en fonction de la
scène – et quelques gimmicks un peu datés – les interventions
de personnages réels en apartés – la réalisation ne manque pas
d'idées visuelles où pointe l'influence maniérée d'un Sorderberg.
Clooney avait tourné sous sa direction, bien sûr, et ils
étaient alors déjà associés dans Section Eight Productions, co-productrice par ailleurs du film.
De quoi rappeler si besoin était
que le cinéma n'est pas le petit écran, quoiqu'en disent les
apologues de l'âge d'or télévisuel en cours.*
Scénario, mise en scène,
interprétation... les constantes ruptures de ton de ces Confessions,
entre film d'espionnage et comédie, biopic et fantasie ne
compromettent jamais la cohérence de l'ensemble grâce à la
maîtrise de ces trois domaines.
Sans doute mon préféré des
trois films de Clooney, du moins en attendant son Monument's men.
*De fait, personne n'a jamais pu
vérifier, infirmer ou confirmer son récit délirant. Et même
Clooney s'est refusé à lui poser la question, de peur que
d'apprendre la vérité ne gâche son envie du projet.
**un épisode TV est tourné en
une semaine, Confessions en plusieurs mois. Mais faut-il comparer un
long-métrage à un unique épisode ou plutôt une saison ? Je
sens que je vais ouvrir là un méchant débat.
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