mercredi 12 février 2014

Un Bonheur de rencontre - Ian McEwan, trad. Jean-Pierre Carasso

photo : Super Gourou

Adapté au cinéma 10 ans après sa publication par Paul Schrader, Un Bonheur de rencontreThe Comfort of strangers en VO – est un court roman, une novella qui laisse un goût amer une fois tournée la dernière page. L'amertume d'une intrigue noire.

Venise, sous le soleil. Un couple d'anglo-saxons bobo – deux comédiens, elle est mère de famille séparée, ils ne sont pas mariés, s'ennuient entre deux promenades frustrantes. Sept ans après leur rencontre, tout semble les conduire à des crispations réciproques, une litanie de petits agacements et de reproches subséquents. Leur vie sexuelle en a pris un coup, bien sûr. Si seulement ils n'avaient pas ce billet d'avion qui les contraint à vivre l'humiliation d'un séjour raté, ils seraient déjà rentrés.
Puis voilà qu'au hasard des ruelles, alors qu'ils se sont perdus pour la énième fois, un Italien les accoste et les entraîne vers le bar dont il est le patron. Une cave fréquentée par les seuls autochtones. L'homme est une figure du quartier apparemment. Et il ne manque pas d'autorité ni de charisme. Inquiétant ? Oui, sans doute un peu.
Le lendemain, Colin et Mary errent assoiffés dans la ville, après leur nuit d'ivresse en compagnie de Robert, l'Italien. Robert les retrouve par hasard et les invite chez lui, dans son palais vénitien. Ils font alors la rencontre de Caroline, l'épouse. Une femme blessée, souffrant continuement du dos, au verbe rare et lent. Enfants de diplomates, ils se fréquentent depuis leur enfance. Bardé d'une éducation très stricte, Robert s'avère un être odieux, prince d'une maison au riche décor et d'où sa femme ne sort jamais.


Ce couple singulier, la spontanéité un peu brusque de sa rencontre bouleverse la routine conjugale et affective de Colin et Mary. Dès leur retour à l'hôtel, ils donnent à leur séjour une nouvelle tournure : les Anglais font l'amour comme s'ils venaient de se connaître et jouissent du moindre grain de lumière. Ils redécouvrent les plaisirs balnéaires, font de leurs baignades des instants de libération - ou de profonde angoisse - après l'étouffement d'une cité quadrillée de venelles trop étroites et où gargouille un trop plein de touristes. Leurs conversations ne les agacent plus et sont au contraire le tremplins de nouvelles étreintes.
Toutefois ils évitent d'évoquer Robert et Caroline, sans doute pour ne pas gâcher cette intimité retrouvée, ne pas la couvrir de l'ombre de ce couple atypique. Pourtant, ils comprennent que quelque chose ne tournent pas rond chez leurs hôtes d'un soir. Ils concluent rapidement que Robert bat Caroline. L'homme n'a-t-il pas frappé Colin, à l'insu des femmes et comme par jeu ?
Peut-être motivés par une curiosité malsaine autant que le souhait de sauver Caroline, les deux Anglais retournent chez les Italiens, au retour d'une après-midi sur la plage. Caroline se met alors en tête de raconter à Mary la nature de sa relation avec Robert, tandis que les hommes font un tour dans le bar souterrain de l'Italien, avant de rejoindre les femmes pour un ultime dîner. Mais leur soirée est loin d'être achevée.



Je l'avais compris avec Sur la plage de Chesil et Amsterdam, Ian McEwan ne laisse pas beaucoup de chance à l'amour conjugal de s'épanouir dans la joie. L'amitié n'est pas plus une sinécure et un fatalisme noir, entretenu par la cruauté plus ou moins volontaire et consciente de ses protagonistes, clôt ses récits, comme une porte sur un cachot aveugle.

La conclusion de l'intrigue est sans doute tirée par les cheveux, comme l'était à mon sens celle d'Amsterdam. Elles contredisent l'effort de réalisme, le détail dont McEwan cisèle ses portraits. La forme plus ou ténue d'humour que l'on retrouve dans ces trois romans le rapproche des clichés de Martin Parr.

Un regard distancié et plein de talent, bien transcrit par la traduction de J.O. Carasso où la description patiente du décor – dépourvu ici du moindre nom propre de lieu – installe un malaise croissant, jusqu'au dénouement cruel.

0 commentaires: