jeudi 18 juin 2009

Super Pouvoir


Le week-end prochain, ma Douce et moi allons à Strasbourg pour le mariage d’un vieil ami.
Vraiment vieux, l’ami. Olivier D. et moi, on s’est connus au CM2. Je venais de perdre mon père, il arrivait tout juste dans l’école. Assis sur les marches, penché sur un Canson A4, il dessinait. Avec un talent fou. Une bédé, le genre interdit à la maison : super héros.
Mon père aimait la bédé, pas les comics ; ses placards étaient emplis de Gosciny, d’albums Spirou. Superman et Spiderman, ils ne franchissaient pas l’Atlantique, et encore moins le seuil de notre maison. Comme quoi, les super pouvoirs, ça ne profite pas à tout le monde.
Olivier dessinait des comics. Je me suis approché de lui, il était seul, la tête dans ses cases, réglant le sort du monde à coup de crayons et de Rayon de la mort. Il était seul, tout autant que moi qui venais de perdre mon père et ne savais pas quoi faire de mon chagrin.
– C’est super bien ce que tu fais.
– Ouais ? Merci. C’est pas compliqué. Tu veux essayer ?
Et comment que je voulais essayer.

Le dessin c’était mon truc, mais Olivier il naviguait déjà dans d’autres sphères. Il m’a montré et très vite, on a créé notre comics avec nos héros bien à nous. Eclair d’Acier et Eclair d’Or. Rien n’allait leur résister à ces deux-là. Ils allaient casser la baraque.

On dormait chez l’un, chez l’autre. Il m’initiait à Blueberry, je l’initiais à Bradbury.
Ses parents étaient orthophoniste et psychiatre. Au rez-de-chaussée, dans le cabinet de sa maman, les étagères étaient encombrées d’instruments de musique. On expérimentait, Stockhausen et Xenakis sans le savoir. Au mieux, il se mettait à la clarinette et moi au piano. C'était n'importe quoi et c'était bien.


A l’étage, dans les toilettes, un portrait de Freud hanté par le « continent noir » me tournait la tête. Le père d’Olivier est resté pour moi aussi mystérieux que cette image.

Au 3e, on partageait avec sa sœur Murielle la salle de jeu. C’était une petite sœur, alors on s’amusait à la détester et elle nous le rendait bien. Là-haut, Steve Austin luttait héroïquement contre Masquatron, lequel n’en menait pas large quand déboulait Action Joe et son arsenal en plastique.

Un peu plus tard, on découvrait Cerrone. Celui qui n’a pas vu Olivier D. danser sur Supernature ne sait rien du disco.

Et puis il y avait les bédés, des comics au mètre. Ils débordaient de partout, se faufilaient dans mon cartable, glissaient sous mon lit. Ma mère n’a pas pu endiguer le flux. Pas encore : elle avait une arme en réserve, du lourd, elle attendait son heure. Pour le moment, les X-Men, les Fantastic Four ils entraient chez moi par la grande porte, l’Atlantique n’était plus un obstacle et Olivier était leur infatigable ambassadeur.

C’était aussi un acrobate Olivier. Il grimpait partout. Habillé en New Man, aussi distingué qu’un Tony Stark, il escaladait les parois plus vite que Parker, et pas besoin de la toile pour coller aux pierres. Je l’ai vu rejoindre sa chambre, au second, par la façade. J'avais peur pour lui.

Pas une chute ne l’a arrêté. Regardez la courbe de son bras tendu et vous comprendrez de quoi je parle.

Le dessin, donc, et le cinéma. Oh, le cinéma… 2001 Odyssée de l’espace à 13 ans, on s’est bien marrés. Quand on y comprenait rien, on était deux. Quand on aimait, c’était à deux tout pareil.

Le collège aurait pu nous séparer, nous n’étions pas dans le même établissement, mais une bête histoire entre adultes nous a séparés. Et tout est devenu plus compliqué pour des gamins habitant trop loin l’un de l’autre, des gosses habitant trop près des idées de leurs parents.

Les années ont passé. Des choses ont changé. Le lycée, les copains, les filles… Mais la musique, mais la bédé, mais le cinéma sont restés.

C’est un ami qui nous a réunis – par une de ces coïncidences souriantes, il se marrie lui aussi bientôt. Les Beatles et leurs succédanées : on était là-dedans, cet été 88. Bruno connaissait Olivier grâce au lycée et Olivier ne décrochait pas des Beatles.
Des Fantastic four aux Fab four, ça ne devait pas louper, on allait se retrouver.
Un après-midi, sur les bords de Rance, on est donc passés chez Olivier écouter des disques de Georges Harrisson. Ça ne faisait pas loin de dix ans qu’on ne s’était pas vus.
All things must pass, après tout. Alléluia !


Après ces petites épreuves et ces grands écarts, Olivier et moi, on a découvert que nous ne serions jamais des super héros.
Certes.
Mais nous partageons un même Super Pouvoir. Solide comme l’acier, aussi précieux que de l’or.

Notre amitié.

Elle a franchi les années et si vous les multipliez par 30, ces fichues années, vous approchez tout juste du compte.
Essayez de la briser, essayez donc. Evil Mummy a tenté le coup, en vain.

Olivier, je te souhaite de vivre avec Claire une aventure aussi longue et, bien sûr, plus belle encore !
***


Et en plus, à Strasbourg, il y aura des bretzels à foison (^^)

2 commentaires:

Almaterra (David) a dit…

Je ne dirais qu'un mot... Magnifique !

Sophie a dit…

Très beau texte. La marié a t'il été ému?